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drioles, Frétillons et ces Demoiselles, au décorum universitaire : on croyait jusque-là devoir quelque ménagement à l’auteur du Roi d’Yvetot. En 1821, quand Béranger récidiva, il se le tint pour dit, et du jour de la publication du second recueil, il ne remit pas les pieds à son bureau : on accepta cette absence comme une démission.

Dès qu’il s’était vu casé à l’Université, de 1809 à 1814, Béranger avait pu continuer avec lenteur ses essais silencieux. Il paraît, toutefois, qu’il songea encore au théâtre, mais ce n’était plus par goût comme d’abord. La chanson d’ailleurs le gagnait peu à peu, et empiétait chaque jour à petit bruit sur ses plus vastes desseins. Il avait de tout temps fait la chanson par amusement, avec une facilité, dit-il, qu’il n’a plus retrouvée depuis, en d’autres termes, selon moi, avec une négligence qu’il ne s’est plus permise. Maintefois regardant passer dans la rue Désaugiers qu’il connaissait de vue sans être connu de lui, il avait murmuré tout bas : « Va, j’en ferais aussi bien que toi, des chansons, si je voulais, n’était mes poèmes. » Lorsqu’il eut fait pourtant les Gueux, les Infidélités de Lisette, ces petits chefs-d’œuvre de rhythme et de verve, qui datent des dernières années de l’empire, les poèmes durent perdre de leur sel pour lui et les refrains redoubler de piquant et d’attrait. Reçu au Caveau en 1813, condamné à sa part d’écot en couplets, il ne put s’empêcher d’y porter sa curiosité et son imagination de style, sa science de versification, la richesse de son vocabulaire. Mais long-temps il n’osa confier au refrain que sa gaîté et ses sens. C’était comme un esquif trop frêle, une bulle trop volatile, pour qu’il osât y risquer ses autres sentimens plus précieux. Il ne différait des autres chansonniers, ses confrères, que par la perfection de la forme, l’invention colorée des détails et le jet de la veine. Bon convive avec eux, les suivant sur leur terrain en vrai enfant de la rue Montorgueil, hardiment camarade et vainqueur de l’excellent Désaugiers qui ne s’en inquiétait guère, il atteignait déjà au sublime des sens dans la Bacchante, au sublime de l’ivresse rabelaisienne dans la Grande Orgie, à la folie scintillante de la guinguette dans les Gueux. Mais le poète tenait à part toutes ses