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du roi, comme un laquais, peut-il atteindre, sans choquer la vraisemblance, à cette sublime tristesse ? n’a-t-il pas dû souvent servir de pourvoyeur à la couche royale ? n’a-t-il pas dû s’accoutumer de longue main aux débauches de son maître, comme à l’air qu’il respire ? Quand les plus grands noms de la monarchie afferment au libertinage du prince la jeunesse et la beauté de leurs sœurs, de leurs femmes et de leurs filles, est-il probable que Triboulet demeure seul vertueux, pur, fier, impitoyable ? qu’il résiste à l’exemple et le flétrisse de ses mépris ? Si cela est, il ne lui reste qu’un parti, le suicide.

Mais comme il est écrit que le poète dispose à son gré de l’espace, du temps, je pardonnerais volontiers à M. Hugo cet anachronisme flagrant. Il peut se moquer des dates : il en est bien le maître. Que Triboulet soit vertueux et pur, à la bonne heure ! Comment admettre la cruelle mystification dont il est victime, à laquelle il donne les mains si naïvement ? comment croit-il aider à l’enlèvement de madame de Cossé ? n’y a-t-il pas chez lui un secret instinct pour l’avertir qu’il est près de sa fille ?

Une fois la donnée admise, il n’y a rien à dire à la colère de Triboulet ; quand après avoir épuisé la menace et l’insulte, il descend jusqu’à la prière, et que s’adressant à Marot il lui dit :

Marot, tu t’es de moi bien assez réjoui.
Si tu gardes une âme, une tête inspirée,
Un cœur d’homme du peuple, encor, sous ta livrée,
Où me l’ont-ils cachée, et qu’en ont-ils fait, dis ?
Elle est là, n’est-ce pas ? oh ! parmi ces maudits,
Faisons cause commune, en frères que nous sommes,
Toi seul as de l’esprit dans tous ces gentilshommes,
Marot, mon bon Marot ! — Rien ! quoi rien !

et qu’il ajoute, en se tournant vers les seigneurs :

Depuis bien des années,
Je suis votre bouffon ! Je demande merci ! —
Grâce ! ne brisez pas votre hochet ainsi, —
Vraiment, je ne sais plus maintenant que vous dire.
Rendez-moi mon enfant, messeigneurs, rendez-moi
Ma fille, qu’on me cache en la chambre du roi !