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ganisée et satisfaite : mais le dictateur, traduisant par le pouvoir absolu l’ordre philosophique du penseur, et mariant quelques emprunts à ses propres combinaisons, établit, dans la constitution de 1799, un sénat qui ne sut conserver que le despotisme, un corps législatif qui n’eut d’autre loi que l’obéissance, un tribunal dont le nom antique semblait une raillerie amère dirigée contre son impuissance par le nouveau Sylla. Trois ans après, en 1802, un sénatus-consulte organique fut ajouté à la constitution ; il préparait le passage de la république à la monarchie, il appesantissait la puissance exécutrice et perfectionnait le silence législatif. Enfin, le 18 mai 1804, un nouveau sénatus-consulte confia le gouvernement de la république à un empereur des Français, selon la teneur du premier article, affranchissant ainsi le maître du monde et la France d’une hypocrisie qui devait leur peser à tous deux. Alors il n’y a plus qu’un législateur, c’est l’homme qui se promène à travers l’Europe : il a besoin d’être seul, pour se trouver suffisamment grand, et sa liberté se compose de l’asservissement de tous. Que voulez-vous ? il est ainsi fait. En vain, dès les premiers jours de son consulat, il annonçait l’ère des gouvernemens représentatifs ; la publicité de la pensée le blesse ; la parole, quand elle n’est pas celle du dévouement et de l’enthousiasme, l’offense : il est plus près du Coran de Mahomet que de la tribune aux harangues. Quand en 1815, il fut malheureux, on lui fit bégayer les mots d’indépendance et de liberté ; on lui fit écrire dans l’acte additionnel aux constitutions de l’empire, qu’il avait résolu de proposer au peuple une suite de dispositions tendant à modifier et à perfectionner les actes constitutionnels, à entourer les droits des citoyens de toutes leurs garanties, à donner au système représentatif toute son extension, etc. Efforts douloureux sur lui-même ! On se sent ému d’une respectueuse pitié devant cette humiliation du génie, devant cette conversion inutile à la liberté, devant cet homme divin déchu de la victoire, et qui se sent trahi de toutes parts, par la bassesse, par la fortune, par la marche du temps, et par les progrès de son siècle.

Mais le pouvoir législatif, si long-temps confisqué par la