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carrière aborder ? Quelles études faire ? Comment vivre en attendant ? Mon frère aîné se dévoua généreusement pour nous tous. Mais la fortune trompa ses espérances, elle se joua de sa constance et de ses efforts. Je voyais à Paris bon nombre d’officiers qui supportaient mal leur infortune, s’adressaient à M. Lafitte pour en obtenir des secours, et criaient ensuite contre le banquier libéral, s’il ne leur donnait que de faibles sommes, comme s’il devait sa fortune, laborieusement acquise, à qui ne voulait pas travailler de peur de déroger ! Cette façon d’aumônes accordées à l’opinion ne pouvait me convenir ; c’est du travail que je demandais partout, sans en trouver. J’avais fait d’assez mauvaises études, et j’étais parti du lycée débiteur envers mon professeur de rhétorique d’un pensum de six mille vers ; je songeai à rapprendre : on ne rapprend pas quand on est tourmenté par le besoin, et qu’on n’a pas tout ce qu’il faut pour étudier commodément. Ensuite, toute sa vie, on marche toujours, près de tomber, sur ce vide qu’on n’a pas su combler. Aussi, Dieu sait, depuis douze ans, quelles précautions il m’a fallu prendre pour marcher sur ce terrain miné. C’est l’art du danseur de corde qui consiste à paraître solide sur la voie étroite du funin.

J’avais le goût des arts, je m’y livrai avec bonheur, non pour produire, hélas ! mais pour juger l’artiste. Je me fis critique, comme on se fait spéculateur à la Bourse ; j’avais la même mise de fonds que la plupart des coulissiers ! Je n’avais qu’une excuse, la bonne foi et la nécessité. La nécessité ! elle était bien impérieuse !

J’avais frappé à toutes les portes, nulle part on ne m’avait dit : « Entrez, » excepté dans une bonne famille, qui est devenue la mienne, mais qui ne pouvait rien pour me faire une position. Je ne puis dire tout ce que j’ai entrepris ; il n’y a peut-être que le valet de la comédie qui ait le droit de dire comme moi :

J’ai fait tant de métiers dedans le naturel,
Qu’on peut bien m’appeler un homme universel !

J’ai dessiné des châles de cachemire chez M. Lupin, sous la direction d’un homme de talent dans ce genre, M. Glev…, qui