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plus d’une perruque contemporaine de Monvel lui-même se secouait et se dandinait en signe d’incrédulité. Il a fallu peu d’efforts à madame Dorval pour dissiper complètement ces injustes préventions. Sa parfaite tenue, sa grâce facile et son excellente diction lui ont même d’abord conquis le suffrage des amateurs d’autrefois les plus exclusifs et les plus absolus. Quant à mademoiselle Mars, qui avait fait preuve de courage et de bon goût, en consentant à se montrer auprès de sa jeune rivale, nous ne surprendrons assurément personne si nous disons qu’elle a été spirituelle et charmante comme à son ordinaire.

Le plus divertissant quart d’heure de la représentation a sans contredit été celui durant lequel MM. Brunet et Vernet, des Variétés, ont joué quelques-unes des plus joyeuses scènes de Je fais mes farces. À l’occasion de cette amusante folie et avant qu’elle commençât, un grave incident s’était élevé dans les coulisses. M. Brunet y ayant fait apporter, comme accessoire indispensable de son rôle, le petit théâtre de Polichinelle, à l’aspect de Polichinelle et de son théâtre, toute la comédie s’était émue. Une importante discussion avait immédiatement eu lieu entre M. Brunet et messieurs et mesdames les sociétaires. Souffrirait-on l’apparition du théâtre de Polichinelle sur le Théâtre-Français ? Ferait-on voir au public Polichinelle après M. Monrose ? Les poupées et les marionnettes seraient-elles bien admises à se produire là où se montraient chaque soir MM. Faure et Saint-Aulaire, mademoiselle Brocard et mademoiselle Anaïs ? La dignité de la scène française n’était-elle pas intéressée à ce qu’une pareille profanation fût interdite. Voilà ce qui se disait d’une part. De l’autre, M. Brunet réclamait énergiquement l’assistance de Polichinelle et de son théâtre. M. Brunet déclarait que, pour le bénéfice d’aucune comédienne française du monde, il ne se séparerait jamais de Polichinelle. — Après de mûres délibérations, auxquelles on ne sait point si M. le commissaire royal fût appelé, une transaction intervint. On décida que M. Brunet pourrait paraître avec Polichinelle, mais à la condition qu’il le cacherait soigneusement sous sa redingote. Quant à son théâtre, il fut à l’unanimité résolu que son admission sur la scène française était impossible, et qu’il demeurerait pudiquement voilé dans le coin le plus sombre des coulisses pendant les farces de M. Vernet.

La représentation du Vaudeville avait attiré peu de monde. Il est vrai de dire que le bénéficiaire avait on ne peut plus maladroitement composé son spectacle. Donner du Shakespeare et du Molière aux habitués de la rue de Chartres, n’était-ce pas un non-sens complet ?

Quoi qu’il en soit, malgré la grande Aventure de M. Scribe, qu’il a fallu d’abord subir, cette représentation a été bien belle pour ceux qui en ont su jouir.

Mademoiselle Smithson s’y est montrée sublime d’âme et de poésie dans le cinquième acte de Roméo et Juliette, et puis nous y avons revu madame Dorval, qui jouait pour première fois l’Elmire du Tartufe. Ce rôle si délicat et si difficile a été rendu