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lérés, même sans la révolution de 89, car l’étiquette de Louis xiv, qui réglait encore tout, en avait donné l’exemple. Beaucoup d’autres notabilités bourgeoises de la restauration, les hommes les plus populaires du parti libéral, se trouvèrent en position de composer avec eux-mêmes et d’adopter un accommodement. M. Dupin lui-même, redoutable tribun de l’essence la plus bourgeoise, eût trouvé au besoin sa place toute faite dans une monarchie légitime où l’on restaurait à petit bruit la cour et les parlemens. Il n’en était pas ainsi de Casimir Périer, qui, au milieu de tous les triomphes de son orgueil ne pouvait se dissimuler qu’il n’était qu’un traitant. Fils d’un riche fabricant de Grenoble, mais dont la fortune se trouvait partagée entre de nombreux enfans, Casimir Périer, dur, âpre et avide au gain, ne s’était élevé à sa haute position commerciale que par des voies étroites et peu louables. Pendant longues années, sa maison ne se livra guère qu’à ces opérations usuraires que les banquiers décorent du nom de prêts sur consignations. On jugera de la nature de ces affaires lorsqu’on saura que ces consignations, faites entre les mains de Casimir Périer, furent quelquefois de grands domaines et des exploitations immenses, et que ce fut de la sorte que restèrent dans ses mains la terre de Pont-sur-Seine et quelques biens qu’il a laissés dans sa succession. Or, M. Périer avait trop de sens et de tact pour ignorer qu’avec de tels antécédens, il ne jouerait jamais à la cour des Bourbons le rôle d’un Jacques Cœur ou d’un Colbert, et ce n’était pas celui de Samuel Bernard qu’il voulait y jouer. Il se berça donc avec délices de la pensée qu’un jour l’aristocratie bourgeoise, où il tenait un si haut rang par son caractère et ses richesses, serait maîtresse paisible du pouvoir, et gouvernerait le pays sans contestation. Esprit à vues un peu courtes, il ne vit pas plus loin alors, et il se jeta avec toute la vivacité de son âme dans le combat qu’il fallait livrer pour arriver là : ce combat, d’ailleurs, était peu dangereux, brillant, facile peut-être, et les flatteries ainsi que les ovations qui ne manquaient pas, car chaque jour amenait la sienne, l’encouragèrent à continuer la lutte. Ce fut le plus beau temps de son opposition. Son caractère violent, ses manières superbes, le mettaient toujours en relief à chaque occasion imposante ; et ses colères étaient une si grande ressource pour ceux de son parti, qui n’avaient pas tant de chaleur