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Hélas ! long-temps du fond de ton sol, froid et sombre,
Sur l’univers entier se pencha ta grande ombre,
Long-temps, sublime temple à tous les dieux ouvert,
On entendit tes murs chanter plus d’un concert,
Et l’on vit promener sur tes superbes dalles
Mille jeunes beautés aux formes idéales,
Long-temps tu fus le roi d’une noble cité
Que l’harmonie un jour bâtit à ton côté,
Et long-temps, quand le sort eut brisé ces portiques,
Qui rappelaient Athène et les grâces antiques,
Toi seul restant debout, ô splendide vieillard !
Comme Atlas, tu portas le vaste ciel de l’art.
Enfin toujours brillant, toujours jonché d’hommage,
Il semblait ici-bas que tu n’avais pas d’âge,
Jusqu’au jour où la mort, te frappant à son tour,
Fit crouler ton grand front comme une simple tour.
Ô mère de douleur ! ô mort pleine d’audace !
À maudire tes coups toute langue se lasse,
Mais la mienne jamais ne se fatiguera
À dire tout le mal que ton bras a fait là.
Depuis qu’elle est à bas, cette haute colonne,
L’art a penché la tête et rompu sa couronne ;
Le champ de poésie est un morne désert,
Pas un oiseau divin, pas un noble concert,
Les plus lourds animaux y cherchent leur pâture,
On y voit les serpens traîner leur pourriture,
Et leur gueule noircir de poison et de fiel
Le pied des monumens qui regardent le ciel :
C’est un champ plein de deuil, où la froide débauche
Vient parmi les roseaux que jamais l’on ne fauche