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IL PIANTO.

Qui peut, ami, qui peut s’enivrer de musique,
Et des beaux jeux fleuris de notre terre antique,
Quand la douleur partout nous ronge comme un ver ?
Notre vie ici-bas est un citron amer
Que ne peut adoucir nulle saveur au monde.
Nous sommes, beaux enfans d’une mère féconde,
Sous le joug attelés comme nos taureaux blancs :
Il faut tirer du front, et haleter des flancs,
Marcher pleins de sueur, et, pour plus de misère,
Avoir le dos battu par la verge étrangère.

SAVATOR.

Heureux, heureux pêcheur, il te reste la mer,
Une plaine aussi bleue, aussi large que l’air.
Comme un aigle lassé de son aire sauvage,
Quand le souffle de l’homme a terni ton visage,
Lorsque la terre infecte a soulevé tes sens,
Tu montes sur ta barque, et de tes bras puissans,
Tu cours au sein des flots laver ta plaie immonde ;
La rame en quatre coups te fait le roi du monde.
Là tu lèves le front, là, d’un regard vermeil,
En homme, saluant la face du soleil,
Tu jettes tes chansons, et si la mer écume,
Si le bruit de la terre avec son amertume
Te revient sur la lèvre, au murmure des flots
Tu peux sans crainte encor murmurer tes sanglots.
Mais nous, mais nous, hélas ! habitans de la terre,
Il faut savoir souffrir, mendier et nous taire ;