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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

un ensemble de préludes où dominaient une mélancolie vague, idéale, l’accent chevaleresque, et une grâce de détails curieuse et souvent exquise. MM. Soumet et Guiraud appartiennent purement à cette phase de notre poésie, et en représentent, dans une espèce de mesure moyenne, les mérites passagers et les inconvéniens. Deux autres talens plus fermes, qui s’y rapportent également, quoique issus du libéralisme, MM. Lebrun et Delatouche, l’un dans ses poèmes, l’autre dans ses trop rares élégies, réfléchissent aussi, avec une fidélité précieuse, l’émotion et la teinte poétique de ce moment d’initiation, auquel M. Delavigne demeura, lui, complètement insensible. Béranger restait aussi tout-à-fait en dehors ; mais il le pouvait, grâce à la maturité originale de son génie, au caractère largement politique de sa mission, à la spécialité unique de son genre. Les secondes Méditations, La Mort de Socrate, les premières odes de M. Hugo, divers poèmes de M. de Vigny, datent et illustrent la période dont il s’agit : mais, à part M. de Lamartine qui l’avait ouverte, ces autres poètes, plus jeunes, n’étaient pas arrivés à leur expansion définitive : ce ne fut guère que de 1824 à 1829, dans la seconde phase du mouvement que nous décrivons, qu’ils montèrent à leur rang, groupant autour d’eux et suscitant une génération fervente. Les principaux traits de cet autre moment si bien rempli furent la suprématie, le culte de l’Art considéré en lui-même et d’une façon plus détachée, un grand déploiement d’imagination, la science des peintures, l’histoire entamée dramatiquement, évoquée avec souffle, comme dans le Cinq-Mars et le Cromwell, la reproduction expressive du moyen âge mieux envisagé, de Dante et de Shakspeare compris à fond ; on perfectionna, on exerça le style ; on trempa le rhythme ; la strophe eut des ailes ; on se rapprochait en même temps de la vérité franche et réelle dans les tableaux familiers de la vie. Vers la fin, comme cela a été récemment indiqué à propos de M. Antony Deschamps, on essayait d’infuser dans cette poésie pittoresque, une philosophie platonicienne, dantesque, un peu alexandrine. Les tentatives passionnées du théâtre faisaient seules diversion à ces études intimes et délicieuses du moderne Musée.

Ces tentatives toutefois, en redoublant, commençaient à donner une direction assez divergente à plusieurs talens jusqu’alors unis,