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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

d’un sentiment exquis du présent. Qu’il ose donc, sous de beaux symboles, à l’exemple du chantre de Pollion, toucher quelques points de la transformation profonde qui s’opère ! Son ami, l’auteur des Iambes et aujourd’hui du Pianto, a osé beaucoup : proférant des paroles ardentes, et d’une main qui n’a pas craint quelque souillure, il a fouillé du premier coup dans les plaies immondes, il les a fait saigner et crier. Son Iambe, non pas personnel et vengeur comme celui d’Archiloque ou de Chénier, ressemblait plutôt à l’hyperbole des stoïciens Perse et Juvénal. Il y avait en M. Barbier, artiste sinon stoïcien, sectateur de Dante et de Michel-Ange, sinon de Chrysippe et de Crantor, un idéal de beauté et d’élévation qu’il confrontait violemment avec la cohue de vices qu’un brusque orage avait soulevés. Cet idéal, qu’attestait déjà la Tentation, ressort désormais, et se compose en plein sous une harmonieuse tristesse dans le Pianto, dont l’éclat est trop voisin de nos pages pour que nous puissions l’y juger. On saisira toute la portée de l’idée dont l’Italie n’est, à vrai dire, que la plus auguste figure. La religion sans âme, la beauté vénale et souillée, ce n’est pas seulement Rome ou Venise ; le peuple méprisé et fort, c’est partout la terre de labour ; Juliette assoupie et non pas morte, Juliette au tombeau, appelant le fiancé, c’est la Vierge palingénésique de Ballanche, la noble Vierge qui, des ombres du caveau, s’en va nous apparaître sur la plate-forme de la tour ; c’est l’avenir du siècle et du monde.

On ne devra pas demander de pensée de ce genre à un Spectacle dans un fauteuil, que M. de Musset vient de publier, bien que ce livre classe définitivement son auteur parmi les plus vigoureux artistes de ce temps. Mais l’esprit de l’époque, en ce qu’elle a de brisé et de blasé, de chaud et de puissant en pure perte, d’inégal, de contradictoire et de désespérant, s’y produit avec un jet et un jeu de verve, admirables en toute rencontre, et qui effraient de la part d’un si jeune poète. M. Alfred de Musset n’a guère plus de vingt-trois ans, si encore il les a : il a commencé à versifier dès dix-huit. Lié d’abord avec les poètes de la seconde période, avec ce groupe qu’on a désigné un peu mystiquement sous le nom de Cénacle, il lançait au sein de ce cercle favorable ses premières études de poésie, quelques pastiches d’André Chénier, des chansons espagnoles d’une heureuse turbulence de page, mais visiblement chauffées au