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INFLUENCE DES MOEURS SUR LES LOIS.

qu’à la tête puissante qui aurait tenté et accompli au dix-neuvième siècle la création d’un autre Esprit des lois. Or, de pareilles entreprises ne ressortent d’aucune Académie, quelle qu’elle soit ; elles ne se décrètent pas au bon plaisir d’une compagnie, elles ne s’achèvent pas avec trois années et dix mille francs. L’Académie française a été parfaitement honnête et innocente dans ses procédés : elle a vertueusement failli, en s’aventurant dans des choses qu’elle ne sait pas assez bien.

Au surplus, on dirait qu’elle a eu le sentiment de son incompétence ; car elle tâtonne, elle est timide dans les conseils qu’elle donne aux concurrens : elle veut un ouvrage surtout utile, d’accord ; approfondi, très bien. Il faudra rechercher comment les institutions politiques, les lois pénales et les lois civiles ont agi sur les mœurs et réciproquement : voici ce semble la carrière ouverte dans tout son espace. Mais viennent les restrictions ; il ne faudra pas entrer dans des questions spéciales, recommandation passablement étrange, habitudes littéraires portées dans un sujet scientifique ; il ne faudra pas non plus faire l’apologie ou la critique des lois existantes, conseil singulier qui interdit aux écrivains l’appréciation de leur siècle et de leur pays ; enfin il faut se garder surtout de provoquer des réformes soudaines : les auteurs sont avertis ; pas de provocations, pas de provocations à des réformes qui seraient d’autant plus dangereuses qu’elles seraient soudaines ; l’Académie veut un ouvrage qui amène les améliorations à la longue, d’une manière indirecte, mais sûre : la ligne droite est proscrite. Enfin le but de l’ouvrage sera de contribuer à rendre vulgaires des vérités généralement admises : cela est clair ; les concurrens devront s’abstenir des vérités qui ne seraient pas admises ; ils doivent se borner aux vérités qui se trouvent dans la circulation, et les rendre plus vulgaires qu’elles n’étaient déjà. L’originalité des vues est mise hors de cour.

Ce programme ne semble-t-il pas dire aux concurrens qui pouvaient se présenter : Ne concourez pas, vous dont la pensée est ferme, la raison directe, la réflexion systématique, l’instruction spéciale, qui croyez qu’on ne doit écrire que pour établir des vérités dans l’ordre de la science, et les importer dans la société sur-le-champ ; philosophes ardens, esprits actifs et jeunes, imaginations passionnées, intelligences dogmatiques et entières, ne concourez