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mes et par ses savans, et qui, après d’affreuses tempêtes, d’horribles excès, entrait dans les voies d’un régime large et populaire, à l’abri à la fois de la participation grossière et féroce de la populace, et du despotisme insolent des classes supérieures. Il avait bien ouï dire dans la petite cour de Brunswick où il venait de passer une année en qualité de gentilhomme de la duchesse régnante, que la France était livrée aux passions les plus violentes, les plus basses, et que depuis qu’elle avait chassé ses rois, elle était indigne de compter parmi les nations ; mais à travers les réticences de la politique et de l’étiquette, les noms de Jourdan, de Moreau, de Kléber, de Joubert, de Hoche, étaient venus souvent jusqu’à lui ; son regard pénétrant avait saisi tout ce qu’offrait de sublime cette Convention qui avait défendu son indépendance contre les partis soulevés et l’Europe armée tout entière pour la renverser ; qui, sans argent, sans crédit, sans armée, sans administration, avait fait respecter son terrible mandat depuis les Pyrénées jusqu’au Rhin, et qui, après avoir atteint son but, brisant les terribles instrumens qui l’y avaient menée, se démettait elle-même de son pouvoir, et léguait au pays une constitution républicaine assise sur des principes de modération et de liberté. Il savait que la réaction sanglante du 9 thermidor était terminée, et que les cruelles représailles de la terreur avaient fait place à une tolérance qui permettait aux victimes et aux partisans de Robespierre de se trouver dans les mêmes salons. De toutes les villes de la Suisse, Lausanne était celle où les émigrés français avaient été le plus froidement accueillis. La jeunesse y était enthousiaste de la révolution française. Il avait conservé avec chaleur ce sentiment qui ne lui venait pas seulement de sa patrie. En traversant la Prusse et la Hollande qui venaient de conclure la paix avec la république, l’une de ces puissances au prix de la moitié de ses flottes, de la Flandre hollandaise, de Venloo, de Maëstricht et les deux rives de la Meuse ; l’autre, en abandonnant les provinces de la rive gauche du Rhin, notre jeune voyageur avait trouvé dans un profond abattement ces princes et ces hommes d’état, qui s’étaient déjà distribué par morceaux la carte de la France. Il avait vu des populations frémissant d’impatience et prêtant l’oreille à chaque coup de tambour qui leur annonçait l’approche de ces armées révolutionnaires, à la suite desquelles arrivaient la liberté et l’af-