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meneurs qui avaient surgi à sa naissance, s’était enfin écroulé honteusement au bruit des sifflets et des huées de toute la France. Benjamin Constant a consigné dans quelques pages les souvenirs qu’il a gardés du consulat, et il les résume ainsi : « En 1800, l’idée dominante fut : la liberté nous a fait du mal, nous ne voulons plus de liberté, et ceux qui faisaient modestement observer à ces candidats de la servitude, que les maux de la révolution venaient précisément de ce que la révolution avait suspendu toute liberté, étaient poursuivis dans les salons du nom de jacobins et d’anarchistes. Une nation qui demandait l’esclavage à un chef militaire couvert de gloire et âgé de trente ans, devait être servie à souhait ; elle le fut. » — Le publiciste, qui voyait si bien les choses, fut cependant le dernier à lutter en faveur de la liberté, car il était en lui de poursuivre son but avec une persévérance sans égale, même sans espoir d’y atteindre. C’était un homme qui ne quittait jamais la partie qu’elle ne fut complètement perdue ; et il remplaçait la fermeté et l’énergie qui lui manquaient quelquefois par une ténacité unique qui nous expliquera plusieurs circonstances assez obscures de sa vie. En celle-ci, son rôle fut haut, noble et ferme. Dès la première séance de la session du Tribunat, il attaqua un projet de loi présenté par le gouvernement, concernant la nature même des attributions du corps de l’état dont il faisait partie, et il déclara avec vigueur, en face de la grande épée de Bonaparte, qui planait, depuis le 18 brumaire, comme une menace sur les assemblées législatives, que ce projet était destiné à mutiler des discussions qui ne seraient que trop souvent sans résultat ; que le pouvoir s’effarouchait de quelques paroles, qui malheureusement, vu l’état de la France, iraient se perdre vainement dans les airs, et qu’en acceptant la loi, le Tribunat se rendrait la risée de l’Europe. Le projet fut adopté cependant. Un article du Moniteur, écrit tout entier de la main de Bonaparte, fut le châtiment du jeune tribun.

Bonaparte, qui aimait à négocier avant que d’en venir aux rigueurs, avait beau dire à Benjamin Constant : « Au lieu de déclamer dans la salle du Palais-Égalité, que ne venez-vous discuter avec moi, dans mon cabinet ? Nous aurions des discussions de famille, comme dans mon conseil d’état. » Constant répondait avec respect que la constitution avait créé une tribune publique