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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

et alors les raisonnemens les plus clairs, l’ironie la mieux acérée, l’esprit, le savoir, les citations heureuses se confondaient avec abondance dans ses improvisations. On l’entendait parler des heures entières sans se lasser de l’écouter, on se plaisait à le voir soulever avec calme les passions de ses adversaires, et, comme s’en faisant un jeu, n’opposer aux débordemens de fureur des bancs de la droite, qu’une politesse sèche et froide qui augmentait encore l’exaspération. Pour lui, apostrophé avec insolence, traité de séditieux, de révolutionnaire, rappelé à l’ordre à grands cris, il ne se laissait pas troubler, et continuant son discours comme dans le salon le plus calme, déconcertait quelquefois ses ennemis par une plaisanterie de bon goût qui les désarmait en excitant leur hilarité. Mais c’était surtout sur la question de la presse, qui l’intéressait si vivement, que Benjamin Constant se montrait toujours neuf, inépuisable et chaleureux. On formerait un énorme in-folio de tous les discours qu’il a prononcés sur cette matière, pendant ses quinze ans d’opposition. Il y revenait sans cesse, tantôt à propos du fisc, tantôt des procès faits aux journaux, et il la ramenait dans toutes les discussions lorsqu’il ne pouvait aborder ce sujet en face, ce qui lui arriva souvent, car bien souvent les ministres de la restauration vinrent apporter des projets de loi pour anéantir cette liberté. Je l’entendis un jour, en 1827, parler sur son sujet favori, en combattant un nouveau tarif de postes que proposait M. de Villèle. Non, jamais on ne réunit plus de sens et plus de finesse, jamais on ne parla avec plus de bonheur et plus de clarté. Il s’attaqua surtout à un article de la loi nouvelle, fondé sur ce sophisme de M. de Villèle, qu’en élevant le prix des journaux, on ne diminuait ni leur produit ni le nombre de leurs abonnés. Cet article, tel que les ministres l’avaient présenté, devait atteindre non-seulement les journaux, les brochures et les livres, mais il soumettait au droit de timbre les catalogues et les prospectus : « ces catalogues, disait Benjamin Constant, apparemment séditieux par le nombre des ouvrages qu’ils indiquent, ces prospectus véhémentement soupçonnés de crimes à venir, cette musique qui s’était crue innocente et dont l’ancien régime lui-même tolérait les excursions dans le domaine de la critique, mais que trouvent aujourd’hui coupables des ministres que tous les sons épouvantent, parce que tous les sons leur