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une explosion subite. La parole n’est-elle pas l’instrument indispensable de tous les complots, l’avant-coureur nécessaire de presque tous les crimes, l’expression de toutes les intentions perverses ? Bien des esprits prudens, de graves magistrats, de zélés préfets, de vieux administrateurs auraient regretté le bon temps d’un paisible et complet silence. Il en est de même des journaux. Comme la parole, comme les mouvemens les plus simples, ils peuvent faire partie d’une action coupable. La diffamation, la calomnie, la provocation à la révolte, sont des crimes : jugez alors les journaux instrumens de ces crimes, mais ne cherchez pas, par une fiscalité astucieuse, à tuer tous les journaux qui remplissent la mission honorable qu’eux seuls peuvent remplir.

« C’est surtout dans un gouvernement tel que le nôtre que les journaux sont indispensables. Ils apprennent au gouvernement ce que ne lui diraient ni sept ministres, ni cinquante gentilshommes de la chambre : l’opinion publique. Elle peut se tromper quelquefois, rarement, je le pense ; mais, se trompât-elle, dans ses erreurs même il y a toujours un peu de vérité. N’en déplaise aux ministres passés, présens et futurs, quand un ministère est détesté, c’est qu’il le mérite. On peut avoir tort sur quelques faits, par une ignorance inévitable, puisque la connaissance des faits est le monopole du pouvoir ; mais on a raison sur le fond, par un instinct infaillible. Et pour nous lancer un instant dans des suppositions qui ne blesseront personne, si un ministère ne trouvait plus d’appui nulle part, s’il était obligé de parler toujours et de parler seul dans sa défense, si ses partisans secrets le reniaient, si ses partisans connus considéraient comme un succès de garder le silence, si chacune de ses propositions causait dans la nation un frémissement universel, si ses rigueurs enfin se transformaient en couronnes civiques, ne serait-il pas bon que l’opinion eût des organes qui sauvassent le pouvoir en l’éclairant ?

« Ici, messieurs, j’ai besoin de m’appuyer d’une autorité, et j’en choisis une qui doit paraître imposante à tous les hommes instruits. L’extrême sûreté et facilité avec lesquelles chacun peut communiquer ses idées au public, dit Delolme dans son Traité de la Constitution de l’Angleterre, et le grand intérêt que chacun prend à tout ce qui tient au gouvernement, y ont extraordinai-