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LITTÉRATURE COMPARÉE.

rencontrer à cette époque de la littérature française, sans penser involontairement à sa plus grande gloire dans le siècle où nous vivons ! Le commerce, l’esprit d’aventures, les ambassades des papes, des rois de France auprès des princes mahométans et surtout des chefs tartares, toutes ces causes et mille autres poussèrent vers l’Asie une foule d’hommes de toute condition, des moines, des artisans, des prêtres, des soldats. — Que d’histoires, de légendes orientales durent voyager alors avec cette foule vagabonde ! Combien durent être rapportées sous le toit natal et redites au foyer rustique ou sous la cheminée du manoir, qui avaient été contées la première fois au désert, sous les tentes, près des fontaines ! — Et nous, messieurs, dans ce cours, nous remonterons à la source de ces traditions venues de si loin ; nous irons, jusqu’aux bords du Gange, chercher la patrie de ces fables que se sont passées de main en main l’Inde, la Perse, l’Arabie ; que des Juifs ont traduites en hébreu, en grec et en latin ; qui, tombées enfin dans le domaine de la littérature vulgaire, sont devenues le patrimoine commun des diverses nations de l’Europe, et dont la France, une des premières, a recueilli l’héritage.

Nous terminerons cette partie de nos recherches par l’histoire des traditions orientales sur Alexandre ; il est beau de suivre ce grand nom à travers les siècles, et de voir comment, dans l’ignorance de la vérité, l’imagination des peuples se travaille pour égarer par des inventions gigantesques la grandeur que l’histoire lui a faite. — Quand ce conquérant eut disparu du monde, que sa puissance remplissait, comme chacun de ses capitaines prit un morceau de son empire, chaque peuple qu’il avait soumis voulut hériter d’une portion de sa gloire : l’Égypte lui donna pour père un de ses rois ; la Perse le fit naître de Darius, cherchant à couvrir par cette fiction hardie la honte de ses défaites ; les Arabes se plurent à broder de fables la destinée de l’élève d’Aristote. Quand la figure d’Alexandre, ainsi dénaturée par les étranges ornemens que lui avait prêtés l’imagination orientale, vint à se montrer en cet état aux peuples de l’Occident, ils augmentèrent encore la confusion, en affublant le roi de Macédoine, devenu monarque asiatique et magicien, d’un costume de chevalier. C’est ainsi qu’Alexandre entra dans notre poésie, devenu, pour ainsi parler, le héros de la terre entière, por-