Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
367
LES BOUQUETS.

moi, je ne serai pas le complice de cet odieux négoce. — Je n’encouragerai pas l’immoralité de ces profits.

— Il ne s’agit pas de ce que je veux, mais de ce que vous voulez de votre bouquet, dis-je sèchement ; c’est vous qui le vendez et non pas moi, j’imagine.

— Mais je prendrai ce que monsieur me donnera.

— Encore une fois je ne vous donnerai que votre prix.

La rusée marchande savait merveilleusement son métier, et dans cette lutte qui s’établissait entre nous, tout autre que moi sans doute eût succombé, mais j’étais irrévocablement résolu à ne pas céder. J’insistai donc si péremptoirement que, de guerre lasse, elle finit par me demander quarante sous pour son bouquet.

Je lui mis cinq francs dans la main.

— Je n’ai point de monnaie, me dit-elle assez haut.

Cette nouvelle attaque dirigée contre mon amour-propre et ma bourse, attestait chez la marchande de fleurs une profonde et bien persévérante habileté. Moi, je ne me déconcertai pas plus qu’elle.

— Vous n’avez pas de monnaie, répondis-je ; eh bien ! trouvez-en.

Elle me regarda fixement et avec l’expression d’une malicieuse colère.

— Je vais donc aller changer votre pièce de cinq francs, monsieur, cria-t-elle ; c’est une pièce de cinq francs, je crois.

Et elle sortit de la galerie.

Je jetai les yeux autour de moi. Madame de Nanteuil était toute rouge et me regardait d’un air moitié confus, moitié surpris. De la loge voisine on m’observait également, et l’on semblait admirer beaucoup l’énergie de mon caractère.

La marchande rentra bientôt. Elle souriait diaboliquement. Je jugeai qu’elle m’avait préparé quelque charitable vengeance.

— Je demande pardon à monsieur de l’avoir fait attendre si long-temps, cria-t-elle ; mais comme les ouvreuses n’avaient pas assez de monnaie, j’ai été obligée de descendre en chercher au bureau des cannes.

— Et fouillant dans la poche droite de son tablier blanc, elle en tira une énorme quantité de pièces de six liards et de deux sous,