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admiration mêlée d’incertitude, le cours limpide, les cataractes étourdissantes et les majestueux débordemens.

L’empire de la littérature française s’étendit au nord encore plus loin qu’au midi. On sait que les minnesingers furent les troubadours de l’Allemagne, dont la poésie chevaleresque, soit dans l’épopée, soit dans le genre lyrique, présente presque toujours un calque de la nôtre ; il n’en sera que plus curieux de démêler ce qui s’est pu glisser d’originalité nationale dans cette poésie d’emprunt. D’autre part, nous verrons dans les Niebelungs et le livre des héros, les mœurs et les sentimens de la chevalerie aller chercher, pour ainsi dire, et rencontrer sur leur terrain les traditions barbares. Là nous assisterons aux luttes et aux alliances des deux génies qui se disputent l’Europe moderne.

Le génie chevaleresque, dont le midi de la France semble être la patrie, atteignit le vieux génie du nord au milieu de ses glaces, et envahit jusqu’à son lointain berceau. Les compagnons fabuleux de Charlemagne, les courtois chevaliers de la Table ronde prirent place dans la littérature islandaise à côté de Sigurd, de Théodoric et d’Attila, et les sagas s’étonnèrent de mêler des récits de tournois et d’aventures aux lugubres tragédies qui les ensanglantaient.

Je n’ai pas parlé du théâtre, il sera traité à part, et je montrerai que la France au moyen âge ne le cède ni pour l’antiquité, ni pour le nombre de ses mystères et de ses moralités à aucun pays de l’Europe. Peut-être même nous convaincrons-nous que c’est dans sa partie méridionale qu’ont dû avoir lieu d’abord ces représentations théâtrales dont l’origine se rattache à des divertissemens païens, et que l’église imagina pour les remplacer. Vous savez que ce genre de compositions a couvert l’Europe depuis le douzième siècle jusqu’au quinzième. Pour trouver cette forme dramatique élevée à la dignité de l’art, il faut aller en Espagne, et, chose étrange ! descendre jusqu’au dix-septième siècle ! Un poète de génie, Caldéron, qui écrivait en même temps que Racine, composa, sous le nom d’Actes sacramentaux, de véritables mystères. Ce sont, pour la plupart, des prodiges d’imagination et de subtilité. Nous parlerons de ces drames allégoriques trop peu connus, et qui, malgré leur date, sont une continuation, ou, si l’on veut, une tardive et brillante résurrection de notre scène du moyen âge.