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lèles entre les généraux d’Athènes et de Lacédémone, dont il a légué le modèle aux pédans de collège.

N’est-ce pas que le polythéisme, en plaçant les dieux eux-mêmes sous la domination du destin, enlevait à l’homme son plus beau privilège, le libre arbitre ? N’est-ce pas que dans une société où Thémistocle invoquait le sens obscur d’un oracle, pour décider une expédition, où les plus lointaines campagnes dépendaient de l’ignorance ou de la fourberie d’un aruspice, l’homme n’avait qu’un rôle secondaire, et n’était qu’un instrument au lieu d’être une volonté ? N’est-ce pas que, dans le monde antique, les générations, au lieu d’être livrées au gouvernement de la raison, n’étaient, aux yeux du philosophe, qu’un océan docile, sillonné douloureusement selon le caprice qu’ils appelaient fatum ?

Avec le christianisme, quel que soit d’ailleurs le jugement que l’on porte sur les destinées ultérieures de la loi nouvelle, l’homme a conquis dans l’histoire l’importance individuelle que les biographies païennes lui refusaient. Avec la liberté sa douleur est devenue plus auguste et sa joie plus sainte : Napoléon à Sainte-Hélène est plus grand que Marius à Minturnes ; la fortune féerique du général d’Italie nous frappe plus vivement que les aventures militaires du tribun.

Tous ceux qui ont réfléchi deux jours aux différences des deux civilisations s’expliquent facilement la diversité des impressions : Marius suivait le flot populaire, Bonaparte le gouvernait.

Les hommes qui ont reçu le don de la parole, qui dirigent l’opinion par le charme de leur pensée, dont les lèvres éloquentes ne sont ni moins dangereuses ni moins puissantes que le tranchant de l’épée, les orateurs et les poètes ne sont pas mieux traités de l’antiquité que les rois et les guerriers. Pourquoi ? si le défenseur d’Archias, l’accusateur de Catilina avait eu son Boswell, si nous savions la vie familière de Virgile à la cour d’Auguste, comme celle du lauréat de Guillaume iv, que d’énigmes insolubles aujourd’hui dans l’histoire littéraire du paganisme se résoudraient d’elles-mêmes !

Il faut donc reconnaître que la formule religieuse qui a résumé sous un symbole populaire les préceptes d’une morale élevée a rendu à l’humanité un double service en agrandissant la sphère de ses actions et le cercle de ses études.