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REVUE. — CHRONIQUE.

froyables de la civilisation. En vérité, quand on parcourt cette masse profonde d’idées que remuent les novateurs hasardeux, les fous comme Béranger les appelle, et comme on peut le redire après lui sans injure ; quand on compare les éclairs qui jaillissent à chaque pas de leur recherche intrépide avec les préjugés creux souvent recouverts du nom de bon sens, on sent l’ironie expirer ; on désirerait être convaincu, ou tout au moins on voudrait ne pas être forcé de combattre. Mais, d’autre part, il y a dans les imaginations frappées, qui épousent éperdument un système, quelque chose d’impatient, de superbe, qui rudoie l’impartialité et la jette, bon gré mal gré, hors des gonds. Si nous nous plaisons en effet à reconnaître chez M. Maurize une critique hardie, ingénieuse, de l’ordre social actuel, critique où M. Fourier lui-même déploie d’ordinaire une éloquence cynique que rien n’égale, comment passer à M. Maurize le ton d’absolu dédain dont il traite les divers partis de ce qu’on appelle le mouvement, son cordial mépris pour tout ce qui est morale, politique, philosophie, pour tout ce qui a occupé jusqu’ici les plus grands hommes ? « Et maintenant, messieurs, vous tous qui êtes qualifiés du nom de philosophes, moralistes, métaphysiciens, politiques et économistes, nous vous interpelons ici directement, et nous vous défions publiquement d’apporter, à l’aide de vos sciences vraies et mensongères, la moindre amélioration au sort de la société et notamment des classes populaires. » Et ailleurs : « Nous dirons à tous les détracteurs du régime sociétaire, que M. Fourier a eu un grand tort envers eux : c’est de n’avoir pas su se faire assez petit pour se mettre à leur taille. » Mais ce qui m’a le plus scandalisé, je l’avoue, ce sont ces phrases blasphématoires sur les maximes libérales de Fénelon : « Je viens d’appuyer la thèse par un aperçu des sottises dogmatiques du Télémaque ; le bonhomme Fénelon ne se doutait pas des résultats qu’aurait en 1789 sa doctrine essayée en France. » Pour nous, nous n’imiterons pas en cela M. Maurize, et nous reconnaîtrons de grand cœur que la doctrine qu’il professe si ardemment, recèle un contingent de vérités dont c’est un devoir d’essayer le triage. Mais ce triage que bien des fois nous avons tenté et que nous tenterons encore, est rendu plus difficile par ces épines repoussantes qui blessent dès l’entrée. M. Maurize a voulu faire un livre de conciliation et d’appel à tous : n’a-t-il pas été en maint endroit contre son but ? La pleine vérité, en aucun temps, a-t-elle jamais tenu un tel langage ? Nous souhaiterions qu’il comprît cela lui-même et que ses amis le comprissent dans l’intérêt des vérités partielles et positives qui peuvent ressortir, pour chacun, de cette doctrine.