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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

sur la connaissance impartiale et complète des ouvrages de l’artiste, il importe de rechercher le caractère général et la valeur poétique de ces ouvrages. Or, on ne saurait le nier sans aveuglement, ce qui frappe d’abord dans les plus belles pages de Maturin, c’est une sorte d’exubérance fastueuse, particulière à son pays ; car l’Irlande est dans la Grande-Bretagne la même chose à-peu-près que la Provence pour nous. Elle se distingue de l’Angleterre et de l’Écosse par l’emphase des images et par le goût des paralogismes : on connaît le mot d’un paysan irlandais, qui se plaignait de ce que ses jambes couraient plus vite que lui. Au parlement et au barreau, l’éloquence irlandaise conserve encore la même exagération. Les plus anciens monumens de la littérature d’Erin révèlent d’une façon éclatante ce génie emphatique et imagé qui s’est perpétué parmi ses enfans. Les pages les plus heureuses des Mélodies ne sont souvent que des pastiches des Irish relics, comme Lalla Rookh une mosaïque assez habile de William Jones et d’Herbelot.

Ce caractère particulier à l’imagination et à la poésie irlandaises, et qui rappelle assez bien la grandeur efféminée des poèmes persans, a reçu le surnom ironique de luxe. Ce défaut se retrouve jusque dans la prononciation, et c’est ce qui explique l’opposition anglaise contre le talent dramatique de miss Smithson : le public de Londres ne peut lui pardonner son accent.

L’Irlande est aussi riche que l’Armorique en traditions merveilleuses, en origines, en généalogies que la plus patiente sagacité ne saurait éclaircir. Quelques-uns de ses bardes font descendre sa population d’une colonie milésienne. Le Milésien de Maturin est fondé tout entier sur cette tradition. C’est un livre où étincellent çà et là des pages magnifiques. Il faut même reconnaître que l’intérêt romanesque se soutient assez bien ; mais les caractères manquent de réalité.

Montorio, comme le Moine de Lewis, appartient à l’école d’Anne Radcliffe. Il est de la même famille que les Mystères d’Udolphe. Malgré les éloges indulgens de sir Walter, je me range à l’avis que Maturin lui-même a exprimé dans la préface des Femmes.

Le Jeune Irlandais, quoique le dernier en date, n’est assurément pas le meilleur des six romans de l’auteur. Le style en est plus pur,