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caine et prolétaire ? Car après les trois jours, durant deux années, le saint-simonisme a été en grande partie cela. À ce sujet, on nous permettra de citer ici quelques vers laissés par un jeune saint-simonien mort, Bucheille ; le sentiment qu’il éprouve en approchant du groupe qu’il considère comme sacré, ce détachement des autres amitiés et des liens antérieurs, cette illusion d’un essor plus vaste et d’un rajeunissement moral, tous ces symptômes, que beaucoup ont partagés, y sont assez naïvement réfléchis : nous n’avons supprimé qu’un bout d’amourette vers la fin ; et c’était là encore un trait qui d’ordinaire ne faisait pas faute. Je m’étonne que le saint-simonisme n’ait pas inspiré d’autres vers, et qu’aucune poésie ne se soit teinte de son reflet. Certaines pièces des méditations de M. de Lamartine idéalisent assez bien les oratoires d’élite auxquels, vers 1819, on s’initiait. Si le saint-simonisme s’était maintenu plus long-temps à cet état vague de petite église, si le jeune Bucheille lui-même avait plus vécu, il est possible qu’il eût essayé d’en consacrer l’esprit et la couleur. La dépendance étroite où l’on était du père mettait toutefois obstacle à l’inspiration. Voici les préludes, qui sont, on le verra, antérieurs à l’entrée en hiérarchie du poète :


Assez tarder, mon Ame, et faire violence
Aux penchans naturels d’un invincible essor !
Assez pour ton passé de deuil et de silence !
À ton jeune avenir renais et chante encor.


Sur tes liens détruits assez de larmes vaines ;
Assez rôder autour du nid tant regretté ;
Assez regarder fuir les cimes des grands chênes,
Et voir fumer le toit où l’on fut abrité !


L’Aquilon te soulève, ô ma jeune hirondelle,
Et l’horizon lointain abaisse ses sommets ;
Tu tardes ; craindrais-tu de paraître infidèle,
Parce qu’aux mêmes lieux tu ne reviens jamais ?


Oh ! non, tu ne reviens jamais après l’absence ;
Ailleurs, toujours ailleurs, en avant, c’est ta loi ;
Ta loi, c’est d’obéir à qui, dès ta naissance,
Te crie, à travers tout : Viens à moi, viens à moi !


À travers la douleur des amitiés brisées,
Les chûtes, les écarts, — obstinée en ton vœu ;