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C’est bon, dis-je à part moi, j’aurai le temps d’aller voir le vieux château.

— Monsieur veut-il quelqu’un pour le conduire, et pour lui expliquer de quelle époque il est ? me dit l’hôte, répondant à mon à parte.

— Merci, je trouverai mon chemin tout seul ; quant à l’époque à laquelle remonte votre château, ce fut Pierre de Savoie, surnommé le Grand, qui, si je ne me trompe, le fit élever vers la fin du douzième siècle.

— Monsieur sait notre histoire aussi bien que nous.

Je le remerciai pour l’intention, car il était évident qu’il croyait me faire un compliment.

— Oh ! reprit-il, c’est que notre pays a été fameux autrefois ; il avait un nom latin, il a soutenu de grandes guerres, et il a servi de résidence à un empereur de Rome.

— Oui, repris-je en laissant, comme le professeur du Bourgeois gentilhomme, tomber négligemment la science de mes lèvres ; oui, Martigny est l’Octodurum des Celtes, et ses habitans actuels sont les descendans des Véragrians dont parlent César, Pline, Strabon et Tite-Live, qui les appellent même demi-Germains. Cinquante ans environ avant Jésus-Christ, Sergius Galba, lieutenant de César, y fut assiégé par les Sédunois ; l’empereur Maximien y voulut faire sacrifier son armée aux faux dieux, ce qui donna lieu au martyre de saint Maurice et de toute la légion thébéienne ; enfin, lorsque Pétronius, préfet du prétoire, fut chargé de diviser les Gaules en dix-sept provinces, il sépara le Valais de l’Italie, et fit de votre ville la capitale des Alpes pennines, qui devaient former avec la Tarentaise la septième province viennoise. — N’est-ce pas cela, mon hôte ?

Mon hôte était stupéfait d’admiration. — Je vis que mon effet était produit, je m’avançai vers la porte, il se rangea contre le mur le chapeau à la main, et je passai fièrement devant lui, fredonnant aussi faux que cela m’est possible :


Viens, gentille dame,
Viens, je t’attends !…