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REVUE. — CHRONIQUE.

donc à couteau tiré depuis un an ou deux avec son bon roi ; M. Levasseur est très bien avec M. Nourrit. C’est son favori, son confident intime : le premier acte s’ouvre là-dessus.

Je conviens que le caractère de Gustave est très bien compris par le costumier. Sa redingote verte est admirable. Nonchalamment couché sur un sopha, le sage monarque se fait jouer un ballet, pour se délasser des soins de son empire ; mais dussé-je passer pour un maniaque et un ignorant, je ne saurais approuver les roses-pompons de couleur écarlate qu’il porte à ses souliers.

Au second acte, nous sommes chez la sorcière. Quelle sorcière ? dites-vous ; c’est ce que j’allais vous demander. Mais qu’il vous suffise d’apprendre que le roi est déguisé en matelot. Le costume va à ravir au jeune page, mademoiselle Dorus. La sorcière prédit au roi qu’il sera assassiné amen dico vobis. Et comme Jésus-Christ, Gustave reçoit de son futur meurtrier la poignée de main de Judas.

Au troisième acte, nous sommes en plein vent. La décoration est superbe. Ankastroëm trouve sa femme en rendez-vous avec son maître et comme le mari de Molière, il se charge de la reconduire voilée. Il paraît d’après ce que j’ai entendu dire, que ce mari, qui ne reconnaît pas sa femme, et qui lui offre galamment le bras pour la ramener à la ville, est d’un effet très dramatique. Voilà comme tout change avec le temps.

Au quatrième acte, Ankastroëm, qui a reconnu sa femme, chante dans ses appartemens avec un petit nombre d’amis.

Au cinquième acte, voilà où j’en voulais venir, on danse le galop. Ceux qui n’ont pas vu ce galop, ne savent rien des choses de ce monde. Jamais l’éclat des bougies, le bruit d’une fête, le parfum des fleurs, la musique, la folie et la beauté, n’ont fait une heure de plaisir comparable à celle-là. Jamais les masques agaçans, les costumes bizarrement accouplés, les dominos et les grotesques, n’ont fait ondoyer leurs mille couleurs avec plus de grâce et d’esprit sous l’éclatante lueur des lustres. Jamais un collégien lisant les Mille et une Nuits n’a vu passer dans ses rêves du soir une fantasmagorie plus voluptueuse et plus enivrante. L’ensemble en est éblouissant ; l’analyse en est amusante. Si c’est là ce qu’on appelle l’art du théâtre, son but est rempli. La réalité est vaincue ; et la magie n’ira pas plus loin.

Et je vous le demande, que nous importe le reste ? que nous importe à nous qui venons nous accouder sur un balcon deux heures après dîner, que l’art soit en décadence, que la vraie musique fasse bâiller, que les poèmes de nos opéras dorment debout ? que nous importe que les bouffes aient perdu la vogue, que l’admirable talent de Rubini s’épuise en difficultés et danse sur la corde comme l’archet de Paganini ? que nous importe qu’on