Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
REVUE DES DEUX MONDES.

au milieu d’une nuée de poussière et au-dessus des mangliers qui bordent la rive gauche du Sénégal, les têtes d’une multitude de chameaux dont le balancement répété annonçait la marche rapide ; c’étaient les dépouilles des vaincus qu’on ramenait en triomphe. Les noirs poussaient des cris de joie et déchargeaient leurs armes en signe de victoire. Ils n’avaient pas eu, il est vrai, dans cette circonstance, de grands efforts à faire pour se montrer supérieurs au péril ; mais, quelque grand qu’il eût pu être, ils l’eussent bravé gaîment.

Hommes simples et généreux qui n’ont rien à attendre du triomphe, et dont la mort courageuse, toujours ignorée, est comptée pour rien dans la colonie qu’ils défendent.

Biram Touth arriva des premiers à Saint-Louis, à la tête de sa colonne, précédé de tamtams et de griots qui chantaient ses vertus, sa noblesse et son courage. Il portait sur le front le grisgris des combats, couronne de cuir rouge vernissé. Il était suivi d’une double haie de noirs armés de fusils à deux coups, de zagaies et de quelques arcs. Les Maures marchaient au milieu de cette haie, les vieillards en tête ; les plus jeunes suivaient deux à deux, les bras sur les épaules les uns des autres, selon leur habitude. La marche de ces enfans du désert, leur figure grave, contrastaient singulièrement avec la gaîté des noirs ; on aurait presque dit des hommes que l’on ramenait en triomphe.

On les enferma pêle-mêle dans le fort Saint-Louis, et quatre jours après on les vit, les fers et un boulet aux pieds, travailler à remuer le sable des rues ! Cette captivité dut leur sembler cruelle, et cependant ils étaient calmes et ne perdaient rien de la fierté de leurs regards. L’espoir de la vengeance, dans un temps plus ou moins éloigné, adoucit pour ces hommes, le regret de la liberté perdue. Ils semblaient moins parler entre eux à mesure qu’ils paraissaient plus souffrir : c’est qu’ils craignaient d’épancher l’indignation qui dévorait leurs cœurs.

À la suite de toutes ces arrestations qui indisposèrent des peuples que dans l’intérêt de notre commerce on devrait ménager, on accusa le jeune Moctar, rival de Mohammed-el-Habyb, de l’assassinat de Malywouare.

Le 5 janvier dernier, Moctar était arrivé à Guett-Andar, pour se rendre de là à Saint-Louis, où il allait réclamer les coutumes que le gouvernement français lui paie, lorsqu’il fut saisi par un détachement de soldats. La confiance qu’il montra semblait repousser toute culpabilité ou toute coopération directe au crime ; la cause d’ailleurs toute politique de la mort de Malywouare paraissait atténuer un crime commis sur un territoire étranger, en haine d’un concurrent à la couronne qu’il revendiquait comme lui ap-