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royale. Un jour que Joseph regardait à travers les jalousies, il aperçut dans les appartemens du marquis, une jeune fille, vive, alerte et gracieuse, fort brune, mais aussi fort jolie : nigra, sed pulchra. C’était la cameriste de la marquise de M***, fille noble comme le sont toutes Biscaïennes. Elle plut au roi, et il le laissa voir ; un de ses valets de chambre, Christophe, Italien, depuis long-temps attaché à son service, s’aperçut de l’impression produite par la sémillante cameriste. Il savait que les rois ne font guère l’amour que par ambassadeurs, et il fut sans doute flatté de pouvoir en cette occasion représenter son souverain. Il se mit donc en grande tenue, frac brodé et l’épée au côté, et se présenta audacieusement devant la jeune fille, qui se trouvait alors auprès de sa maîtresse. Mais Christophe ne fut pas arrêté par la présence de la marquise, qu’il n’avait d’ailleurs jamais vue. Il fit nettement ses propositions. L’amour d’un roi est bien tentant, les offres généreuses de son messager étaient bien séduisantes ; la pauvre cameriste ne savait que répondre : elle hésitait ; un coup-d’œil de madame de M***, qu’elle interrogeait du regard avec embarras, lui permit d’accepter. Christophe se retira, tout fier du succès de sa démarche. Le lendemain il n’y eut pas de lever à la cour.

Cependant l’aventure fit du bruit : le premier écuyer, M. de Girardin, qui en parla au roi, lui raconta que la maîtresse de la jeune cameriste avait, dans quelque terlulias de Vittoria, manifesté son étonnement de ce qu’un homme aussi aimable que le roi ne se fût pas adressé à des personnes d’un rang supérieur. Il ajouta que la marquise de M*** avait dit qu’il se trouvait dans la haute société plus d’une femme qui aurait été flattée d’être l’objet des attentions particulières du prince.

Cette conversation piqua Joseph ; il voulut connaître la dame qui paraissait si bien disposée en sa faveur. La marquise, sans être de la première jeunesse, était encore fort jolie ; elle avait une chevelure magnifique, une taille de reine, des pieds d’enfant. Elle joignait à une instruction variée de la gaîté et beaucoup d’esprit, parlait parfaitement l’italien et le français, peignait assez bien la miniature (j’ai vu d’elle un portrait du roi Joseph fort ressemblant et très finement exécuté), pinçait de la guitare, chantait avec goût et faisait agréablement des vers. Elle acquit promptement de l’as-