Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
PHILOSOPHIE DE SCHELLING.
DE LA NATURE DE L’HISTOIRE.

Au premier coup-d’œil rien ne se ressemble moins en effet que la nature et l’histoire. Dans la nature, c’est-à-dire dans cet ensemble de choses matérielles et visibles, au milieu desquelles l’homme a été appelé à manifester son existence terrestre, aucun phénomène n’apparaît qui ne soit assujéti à des lois fixes et régulières. Aucune perturbation ne se montre dans l’ordre de succession des choses. Aucune variation ne se laisse voir dans l’ordre établi entre ces choses. Les feuilles des arbres n’ont jamais cessé de pousser au printemps et de tomber en automne. Les êtres animés n’ont jamais cessé de croître et de se développer, en passant par les mêmes périodes d’enfance, de jeunesse et de décrépitude que ceux qui les ont engendrés. On peut déterminer des siècles d’avance l’heure à laquelle le soleil se montrera sur l’horizon ou bien en disparaîtra. Jusqu’à ce jour des calculs analogues ne se sont point encore trouvés en défaut. Mais dans le monde de l’histoire, c’est-à-dire dans cette infinie multitude d’actes divers par lesquels les hommes manifestent leur passage sur la terre, combien ne s’en faut-il pas qu’il en soit de même ! Aucune régularité ne se laisse apercevoir dans la succession des événemens ; aucun rapport stable ne se montre entre ces événemens eux-mêmes. Ils apparaissent çà et là, sans ordre ni suite. Le vent capricieux de la volonté humaine paraît les avoir soulevés au hasard dans l’océan des âges écoulés. L’histoire est ainsi comme un théâtre où se déploie la liberté la plus illimitée. La nature apparaît, au contraire, comme l’expression extérieure d’un principe fixe, immuable, éternel, emportant, en un mot, tous les caractères de la nécessité.

Ce dernier principe n’existe pourtant pas seul, isolé au sein de la nature, et déjà nous nous sommes efforcés de démontrer qu’en face de lui se trouvait aussi un autre principe doué de caractères précisément opposés. Nous avons en outre révélé la lutte, l’opposition constante de ces deux principes. Nous avons dit comment la nature n’était que l’expression visible de cette lutte, de cette opposition cachée, ou comment, pour parler plus exactement, c’était cette lutte, cette opposition qui constituait la nature elle-même.