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PHILOSOPHIE DE SCHELLING.

le même but, et le vouloir de plus au même instant et de la même façon. Comment se tirer de cette difficulté ? Ce serait peut-être le cas d’en appeler immédiatement à un ordre de choses invisible, à un univers intellectuel, et d’en faire la condition nécessaire de la possibilité pour l’homme d’atteindre ce but. Mais on ne saurait alors comment prouver l’existence objective de cet univers moral ; on ne saurait comment prouver l’indépendance où il doit être de la liberté. Le monde intellectuel, dira-t-on, existe pour nous aussitôt que nous l’atteignons ; mais quand l’atteignons-nous ? ce monde intellectuel est la création de toutes les intelligences. Soit médiatement, soit immédiatement, elles ne sauraient vouloir que cet ordre de choses invisible. Ce sont toutes ces volontés qui lui donnent l’existence. On peut considérer chaque intelligence comme partie intégrante de Dieu ou du monde intelligible. Tout être doué de raison peut donc se dire à lui-même : Il m’a été donné de promulguer la loi, il m’a été donné de faire régner la justice dans la portion du monde intellectuel dont la souveraineté m’a été conférée, c’est-à-dire dans le cercle où je suis appelé à manifester mon activité libre et volontaire. Mais que suis-je moi-même ? que suis-je par rapport à mes semblables ? Ce sont autant de questions dont la solution doit m’occuper aussitôt ; car il est évident que l’ordre intellectuel ne saurait exister qu’à la seule condition que tous les autres hommes pensent comme moi, pratiquent comme moi ce qui est juste et bon, fassent tous leurs efforts, comme je ferai tous les miens, pour faire régner souverainement la loi morale.

En dernière analyse, j’en appelle donc à un ordre de choses, à une puissance purement objective. C’est à cette puissance indépendante de ma liberté, supérieure à ma liberté, que je remets le soin de s’emparer de mes actes pour les faire concourir à un but élevé qui me demeure caché. Or, l’objectif est précisément ce qui se trouve en moi sans que j’en aie conscience. Donc aussi, c’est vers une chose dont je n’ai pas conscience que je me trouve infailliblement poussé, c’est vers cette chose que je tends par tous mes efforts, et c’est seulement par rapport à cette chose, ou, pour mieux dire, à cet ordre de choses, que je puis être sans inquiétude sur les résultats produits par mes actes.

Je ne saurais, par conséquent, me refuser à croire qu’au sein