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ou de Strasbourg par des éclectiques, et vous aurez quelque chose d’informe et de grotesque, résultat de l’accouplement du temple antique et de l’église du moyen âge, horrible monstruosité qui, malheureusement, existe autre part que dans les hallucinations d’un cerveau malade, car on peut la voir se réaliser chaque jour dans ces hideux et dégradans pastiches que l’ineptie élève sur nos places. Il en est de même en peinture ; mais comme ceux qui sont venus à la renaissance continuer l’œuvre des grands artistes religieux, étaient, eux aussi, de grands artistes, possédant au plus haut degré le talent de la forme ; comme ceux qui ont succédé à van Eick, à Lucas de Leyden, etc., s’appelaient Raphaël, Michel-Ange, Paul Véronèse, l’éclectisme italien des peintres du seizième siècle, fait par des hommes de génie, est en tout dissemblable de l’éclectisme architectural du dix-neuvième. Seulement ces formes naïves et pures, ces beaux anges chrétiens, à cheveux blonds, entourés d’auréoles, qui priaient en joignant les mains avec béatitude auprès du berceau de Jésus, ou descendaient du ciel dans la chambre de Marie, en lui disant ave  ; toutes ces ravissantes créatures tellement idéales et divines, que rien de matériel ne se laisse voir en elles, et que l’on sent que ces bras, ces visages, ces corps, tout cela n’est qu’une chape dont l’artiste a revêtu la pensée évangélique ; enfin tout ce bel art primitif et chrétien disparaît : voici venir l’éclectisme, qui fait de la Vierge une femme sensuelle ; de Jésus, un enfant de chair et d’os. Il mêle et confond tout, l’art grec, et l’art moderne, l’Iliade et l’Évangile, Épicure et le Christ : aussi un dessin pur et suave, un coloris admirable parfois et toutes les richesses de la forme ; mais la foi, mais le verbe chrétien, mais le sentiment social, il n’en est plus vestige.

En art comme en philosophie, l’éclectisme est donc chose fatale. L’humanité est fille du verbe, elle ne chemine qu’à la condition qu’un verbe la dirige ; la voix du révélateur se prolonge pendant deux mille ans, l’humanité marche et s’éloigne ; n’importe, l’écho des montagnes, le murmure des arbres, le roulis de la mer lui jettent cette parole qui plane incessamment sur elle, et l’environne comme l’air. Tant que l’homme va droit dans les sentiers prescrits, la parole l’enveloppe tellement que son âme ne peut se mettre en rapport avec le monde extérieur qu’en passant à travers elle ; les yeux