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comme il y aura toujours à Naples du soleil et des orangers, à Milan des femmes belles et des hommes sensuels ; enfin, comme le chant italien, dramatique d’abord, s’adresse par cela même à toutes les oreilles, l’Italie pourra bien continuer son œuvre et chanter long-temps après que la dogmatique Allemagne se sera tue.

Et maintenant où va l’art ? Dans quel sentier s’engagera-t-il désormais ? C’est une question qu’il ne m’appartient pas, à moi, de résoudre. Cependant si demain une voix s’élevait qui me dît : L’art continuera son travail inutile encore quelques années, puis il se posera pour son ère nouvelle, et l’éclectisme ayant fini son œuvre, les temps venus, il grandira d’une façon étrange, deviendra populaire, car alors seulement il aura compris sa sublime mission, alors seulement il sera dogmatique et social : j’écouterais cette voix comme une prophétie. En effet le siècle qui s’avance est grave et studieux ; il sent qu’en philosophie comme en art, il lui faut autre chose que des sophismes et des obscénités.

Déjà, au salon de cette année, quelques jeunes peintres de talent ont essayé de reproduire les grandes moralités de l’art catholique du moyen âge. La foule s’arrête et s’étonne à ces tableaux étranges aujourd’hui ; et lorsque l’homme du peuple, rentré le soir chez lui, réfléchit sur ce qu’il a vu dans la journée, croyez-vous, par exemple, que cette représentation du bien et du mal, de la récompense et du châtiment, n’agisse pas autrement sur son âme qu’une sultane au bain, ou que le portrait d’une fille entretenue ? Artistes, c’est par vous que l’instruction doit descendre jusqu’au peuple, c’est à vous d’utiliser l’œuvre des Albert Durer, des Dante, des Palestrina, des Beethoven, à vous de pousser l’art à sa spiritualisation.

Il arrive souvent de voir chez les plus grands artistes deux natures bien tranchées, bien dissemblables. Ainsi l’homme qui, dans la solitude du cabinet ou de l’atelier, en face de l’œuvre, dans l’extase de l’inspiration, a rendu, par des teintes ou des mélodies, des choses pures, chastes et divines, dont il n’a pu trouver le type que dans les profondeurs de son âme, est le même qui va passer la nuit dans les tavernes, et s’enivrer en libertin. Mozart, le grand Mozart, après avoir créé le Recordare, l’Ingemisco, le Lacrymosa