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BEATA.

rappelle, et lui remet, en reconnaissance de ses bons soins, une petite boîte de trois pouces, entourée d’un petit ruban rose passé. Il ouvre la boîte, et il trouve au milieu d’une petite crèche de mousseline jaune et usée, une grosse araignée noire, couchée sur le dos, remuant avec ses longues pattes des petits morceaux de papier sur lesquels sont inscrits des numéros… et sur le revers de la boîte il lit en grosse bâtarde : moyen infaillible de gagner à la loterie ; puis la vieille fille se recouche, crache et meurt… Alors la voiture s’arrête, et le dormeur se réveille en sursaut avec la sueur froide et le tressaillement d’un homme qui a le pistolet sous la gorge ; une horrible pensée le saisit, celle d’être assassiné et volé, lui tout jeune et tout cousu d’or, sur une route et dans un pays qu’il ne connaît pas. Il se penche au carreau de la chaise, aperçoit une montagne, des arbres et l’entrée d’un village… trois bonds le mettent hors de la voiture, et le voilà sous le nez du postillon qui bat tranquillement le briquet, et qui est tout étonné de voir le voyageur si près de lui.

— Où sommes-nous ?

— À la Sauvenière, monsieur.

— Connais-tu du monde ici ?

— Oui, monsieur, pour votre service.

— Veux-tu gagner cinq florins.

— Oui, monsieur.

— Eh bien ! un nom d’honnête homme ?

— Un nom d’honnête homme ? reprend le postillon, étourdi de la demande.

— Oui, et du plus honnête…

— Eh bien ! Franz Rasmann le Hongrois, je lui prêterais ma pipe et mon cheval.

— Tiens, voilà dix florins pour ton nom, reste ici et attends-moi, et il disparaît.

Le postillon, ébahi, fait sonner les pièces d’or dans le creux de sa main, et hausse le bras pour les glisser dans le gousset de son gilet… mais sa pipe tombe et se brise en morceaux sur les cailloux.

— Malheur, malheur ! s’écrie-t-il amèrement et en branlant la tête, ma pipe est morte.