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REVUE DES DEUX MONDES.

— Un talisman peut-être ?

— Non, monsieur, un petit papier où j’ai griffonné mon idéal, celui que j’ai rêvé.

— Quelle folie !

— Moquez-vous bien, vous aurez beau rire, mais ce n’est pas vous.

— Et ce n’est pas moi, pas la plus petite chose de moi ?

— Pas un cheveu ; il est brun, et vous, vous êtes tout blanc poudré ; il se nomme Henri, et vous vous nommez Otto. — Le vilain nom !

— Ô mauvaise ! — Mais si par hasard je m’appelais Henri, si j’avais les cheveux noirs et les yeux bruns, m’aimeriez-vous ?

— Alors, alors je m’en garderais bien.

— Et pourquoi ?

— Toujours pourquoi ! Eh bien ! parce que vous joueriez avec moi comme le chat avec la souris.

— En vérité, je vous croquerais ! (Il l’embrasse.)

— Ô ! mon père, mon père !

— Chère enfant…

Un grand silence… La lampe est morte, la lune jette à travers la croisée trois fleurettes blanches sur le carreau, puis l’horloge sonne minuit. La jeune fille dort, ou rêve depuis long-temps. Quant au jeune fou, il roule en chaise de poste sur le chemin de Spa, et il rentre à l’hôtel à deux heures du matin, sans argent, sans même la quittance que lui a signée le vieux Hongrois, mais content, mais impatient de revenir le lendemain à la Sauvenière. — Le lendemain il avait pris la route de Paris, il avait reçu une lettre de France : son père était mourant.

IV.

Paris, en 1780, était ce qu’il est encore aujourd’hui, la Solfatare du monde civilisé, la Sodome de l’Europe, une fournaise d’intelligences fortes et neuves, en ébullition constante, un pandémonium de philosophes, d’économistes, de bavards et d’écrivassiers, un gouffre où s’enrôlait la bande noire des démolisseurs de trônes et