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BEATA.

Otto avait retiré ses mains des lèvres de la petite Allemande, et la regardait sans répondre.

— Vous me regardez, ô mon bien-aimé ; hélas ! je ne suis plus qu’une mendiante. La fièvre a pris toute la chair de mes os, le vent du nord a terni la belle couleur de mes joues. L’aubépine de mai ne sera plus jalouse, je ne suis plus rose et blanche comme elle, je ne suis plus la fauvette que vous avez surprise un soir chantant au bord de son nid. — Ce pauvre cœur, vous l’avez rempli d’amour, vous l’avez inondé comme une petite fleur des champs à la première goutte d’eau qui tombe du ciel, et il s’est brisé. Oh ! je ne suis plus qu’une ombre maintenant, voyez mes bras comme ils sont frêles ! ma poitrine, comme elle est maigre ! Maintenant c’est à faire peur, j’ai tant souffert !

— Pauvre fille !

— Oh ! oui, vous dites bien vrai, en m’appelant pauvre et misérable, car on ne peut l’être plus que moi, et mon père. Il est dur, quand on a été élevé dans l’aisance, de tomber dans le besoin, il est affreux de passer sa vie à coudre et à filer, et pourquoi ? pour gagner à peine de quoi vivre. Que voulez-vous ? le malheur est entré dans notre maison comme un soldat ; il a tout pillé, tout saccagé. Mon père a été traîné deux fois en prison, et là je l’ai suivi, j’ai partagé son pain noir. Lorsque nous sommes sortis, l’on m’a traité d’enfant sans mère, l’on a voulu m’enlever des bras de mon père ; alors il a été obligé de donner de l’argent. Il en a tant donné, qu’il a fallu quitter notre maison de la Sauvenière et venir nous loger ici, dans cette triste masure, où nous vivons comme nous pouvons tous les deux, et où il y a des jours où nous manquons presque de tout.

— Est-il possible ?

— C’est la vérité, reprit Beata, c’est la pure vérité, et il suffit de jeter les yeux dans l’intérieur de cette chambre, et sur la nudité des murs, pour voir que je ne mens pas ; et pourtant, Henri, j’étais destinée à être plus heureuse, à porter, comme vous, de fines mousselines et de belles dentelles ; j’étais faite pour être grande dame, car ma mère descendait d’une noble famille de Presbourg. À Spa, la maison qu’elle habita durant le temps qu’elle prit les eaux, et dans laquelle je vins au monde, porte encore, à l’entrée,