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de ne pas l’éveiller, elle se glissa jusqu’à son cœur. Aimante créature ! comme elle était heureuse ! un bien perdu et retrouvé est si cher ! elle aurait voulu mourir ainsi ; elle aurait désiré que ses deux bras devinssent chaînes d’airain, afin de ne plus se séparer de son idole.

Cependant Otto tout d’un coup s’agite, il lève la tête et ouvre les yeux ; il sent comme une main froide et osseuse passer sur sa figure et s’arrêter sur son cou, le frisson lui court par tous les membres ; il veut détacher son bras des plis du manteau, mais avant d’y parvenir, une voix qu’il croit bien loin de lui, mais qu’il reconnaît de suite, s’écrie :

— Mon père, mon père, allez vous coucher.

Aussitôt il voit à la lueur de la lune, entre la fenêtre et la cheminée, une forme d’homme se dessiner. Cette ombre vacillante s’arrête, paraît hésiter, et sans gémissement, sans plainte, elle prend une direction et se perd dans l’obscurité. Son apparition fit peu de bruit, quelque chose sembla traîner sur le carreau, et tout rentra dans le silence. Otto, qui doutait encore de ce qu’il venait de voir et d’éprouver, tant l’apparition et la disparition avaient eu lieu rapidement, ne se donna pas le tourment de chercher ce que ce pouvait être ; il se contenta de dire :

— Est-ce vous, Beata, qui faites tout ce train ?

— Oui, c’est moi.

— Et pourquoi donc, ma belle ?

— Je ne puis dormir, il fait tant de vent.

— La nuit est donc bien mauvaise ?

— Oui, bien mauvaise.

Et la conversation en resta là. Le comte pencha la tête de nouveau, et ferma les yeux. Quant à la jeune fille, toute tremblante encore d’émotion, elle reprit sa place aux pieds de son amant, mais elle ne dormit pas. La scène qui venait de se passer avait été pour elle une révélation terrible ; elle avait découvert le déshonneur d’un père, elle venait de sauver la vie du comte.