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BEATA.

IX.

Prenez une pierre, jetez-la selon le libre arbitre, à droite ou à gauche ; il s’établira une multitude de faits successifs résultant du jet de la pierre, inévitables et rigoureux. Ainsi, en bien ou en mal, la fatalité prend les actes, des mains de la liberté humaine, et en fait découler impitoyablement la ruine et le bonheur. Ainsi le jour qui se levait était triste pour la famille du Hongrois et pour le comte lui-même.

— Votre père est-il éveillé, Beata ?

— Je ne le crois pas, il ne se lève pas si tôt.

— Est-ce que vous souffrez ? vous avez la tête dans vos mains.

— J’étouffe, et j’ai les pieds froids.

— Pourquoi ne pas faire de feu ?

— Il n’y a pas de bois.

— Mais le voisin ?

— Nous n’en avons pas.

— Et ce bâtiment qui est près de cette maison ?

— C’est une usine qui n’est pas achevée.

— Vous êtes bien malheureuse !

— Oh ! oui, bien malheureuse !

— Que puis-je faire pour vous ?

— Tout ! — m’emmener d’ici.

— Et votre père

— Qu’importe, si vous m’aimez ?

— Hélas ! Je ne le puis.

— Alors, que le bon Dieu ait pitié de moi !

Beata prononça ces dernières paroles d’un accent si singulièrement triste, que le comte se sentit ému jusqu’au fond des entrailles, il la regarda ; elle était sur sa chaise, immobile, les yeux fixes et le visage tout pâle.

— Mon enfant, vous vous faites mal en restant ainsi, sortons.

— Où aller ?

— Sur la montagne, le long du chemin, prendre l’air un instant.

— Je le veux bien.