bout de dix minutes, nous avions complètement oublié où nous étions.
C’est que rien aussi ne pouvait nous en rappeler le souvenir. Le salon, qu’on appelait le réfectoire, était loin de répondre à l’idée austère que retrace ce nom. C’était une jolie salle à manger, décorée avec plus de profusion que de goût ; un piano ornait un de ses angles, plusieurs gravures étaient accrochées à ses murs ; des vases, une pendule, quelques-uns de ces petits objets de luxe qu’on ne trouve que dans le boudoir des femmes, surchargeaient la cheminée ; enfin un certain caractère mondain régnait dans toutes ces choses et nous fut expliqué par un seul mot : chacun de ces meubles était un don fait aux religieux par quelque société reconnaissante, qui avait voulu prouver aux bons pères que, de retour à Paris, elle n’avait point oublié l’hospitalité qu’elle avait reçue d’eux.
Pendant le déjeuner, le frère qui nous en faisait les honneurs, nous donna sur le mont Saint-Bernard quelques renseignemens historiques qu’on ne sera peut-être pas fâché de retrouver ici.
Avant la fondation de l’hospice, le grand Saint-Bernard s’appelait le Mont-Joux, par corruption de ces deux mots latins mons Jovis, montagne de Jupiter ; ce nom venait lui-même d’un temple élevé à ce dieu, sous l’invocation de Jupiter pœnin. L’époque précise de l’érection de ce temple, dont les ruines sont encore visibles, est inconnue. Au premier abord l’orthographe du mot pœnin que Tite-Live écrit incorrectement Pennin, pourrait faire croire qu’elle remonte au passage d’Annibal, et que ce général, parvenu heureusement au sommet des Alpes, y aurait posé la première pierre votive d’un temple à Jupiter carthaginois. Cependant les ex-voto qui ont été retrouvés en creusant ces ruines, indiquent que les pèlerins qui venaient y accomplir des vœux étaient des Romains. Maintenant des Romains seraient-ils venus prier aux pieds de la statue du dieu de leurs ennemis, cela est impossible. Le temple au contraire n’aurait-il pas été élevé par les Romains eux-mêmes, lorsque les revers d’Asdrubal, en Sardaigne, forcèrent son frère amolli par Capoue, et battu par Marcellus, d’abandonner l’Italie aux trois quarts conquise pour se réfugier prés d’Antiochus ? Dans le premier cas, son érection remonterait donc à l’an 535 ; et dans le second, à l’an 555 de la fondation de Rome. Quant à l’époque où son culte