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REVUE DES DEUX MONDES.

Les habitans de la France, considérés en masse, sans distinction de castes, avaient, en 1788, pour 24 millions et demi de personnes, 1200 millions de revenus territoriaux, qui payaient à l’état 324 millions et demi ou 27 pour cent. En outre, les consommations étaient frappées de taxes, montant à 200 millions, ou 25 pour cent. En sorte que les impôts payés à l’état s’élevaient à 624 millions ou plus de moitié de produit foncier. Les redevances au clergé, les logemens militaires et les dommages qu’ils causaient, les chasses royales, la corvée, la milice, chargeaient, de plus, les communes de 400 millions. La masse des impôts montait à un milliard 25 millons ; elle égalait la moitié de toute espèce de revenu, et grevait de 42 francs chaque habitant du royaume, lui laissant pour tous les besoins, pendant l’année, une somme de 48 francs ou 13 centimes par jour.

Sous l’empire de cet ordre de choses, la France ne comptait vers la fin de la dynastie des Valois qu’une population de 15 millions ; et les deux tiers de son territoire étaient incultes[1].

Elle n’avait sous Louis xv, en 1760, que 20 millions d’habitans ; et près de la moitié de la surface était en friche[2].

Enfin, lorsqu’en 1792, elle possédait déjà une population de 26 millions d’hommes, un quart de son étendue ou 13 millions d’hectares, faisant 6,700 lieues carrées, était occupé par des marais, des landes et des broussailles. Pour trois lieues de terrains utiles, il y avait des terrains abandonnés ayant une lieue carrée de surface, et dont l’ensemble formait, dans l’intérieur de ce beau pays, un désert grand comme la Pologne[3].

Ces faits expliquent comment alors, dans le cours de trois années, il y avait périodiquement une année de disette ou de famine dans l’une des contrées les plus fertiles de l’Europe.

Nous venons de montrer ce que la France était devenue en quatorze siècles, sous l’influence prolongée des institutions féodales et de la puissance temporelle du sacerdoce, nous rechercherons une autre fois quels sont, dans la France nouvelle, les élémens de la société, tels qu’ils sont sortis de la révolution.


A. Moreau de Jonnès.
  1. Le duc de Nevers et Jean Bodin.
  2. Forbonnais. Dénombrement officiel. Tupigny, p. 3.
  3. Roland. Rapport à la convention, 1er janvier 1793.