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que « les classes les plus élevées perdent un peu du poli qu’elles devraient avoir par leur contact continuel avec ceux de leurs compatriotes qui sont moins avancés en civilisation ; mais que les classes inférieures gagnent d’une manière évidente ce que les autres perdent, d’où il résulte que les personnes qui les composent ont, par leur bonne conduite, une supériorité remarquable sur les classes analogues de l’Angleterre. »

En voilà assez sur ce sujet. Les Américains n’ont pas plus besoin d’être justifiés des accusations de leurs détracteurs que ne l’aurait la France ou l’Angleterre en pareil cas. Qu’ils aillent leur chemin, et que Dieu les préserve long-temps de « high life » et des dandys si chers à mistress Trollope !

J’ai encore à vous parler d’un voyageur, du plus original des voyageurs peut-être : M. Charles Waterton est un naturaliste, qui, entraîné par sa passion pour l’histoire naturelle et un goût décidé pour les aventures, a fait, de 1812 à 1824, quatre voyages en Amérique, dans lesquels il a visité les États-Unis, les Antilles, la Guyane et le Brésil. La Guyane est son pays de prédilection ; à quatre reprises différentes, il s’est enfoncé dans ses déserts immenses, et une fois il est parvenu jusque sur les bords du Rio-Branco, le principal affluent du Rio-Negro. Ce n’est pas tout : le passage suivant nous apprend que M. Waterton a fait bien autre chose, et jusqu’où va son goût pour l’extraordinaire :

« Si tu veux bien encore, cher lecteur, accorder quelque indulgence aux divagations innocentes de ma plume, je te dirai que, comme tant d’autres, j’ai eu dans ma vie du haut et du bas ; car j’ai grimpé jusqu’à la pointe du paratonnerre qui est sur la croix, au sommet du dôme de Saint-Pierre à Rome, et j’y laissai mon gant. Je me suis tenu sur un pied, sur la tête de l’ange gardien au château de Saint-Ange, et je viens de te dire que l’on m’a vu descendre sous la chute du Niagara. »

Ces exploits néanmoins ne sont rien auprès de la mémorable aventure arrivée à {{|M.|Waterton}} avec un caïman dans la rivière d’Essequebo. M. Waterton désirait beaucoup se procurer un de ces animaux pour l’empailler, et il parvint enfin à satisfaire ses désirs, grâce à un appareil assez ingénieux que lui fabriqua un Indien. Le caïman ayant mordu au piège, il s’agissait de l’amener à terre sans danger pour les assistans. Voici l’affaire et les suites telles que nous les raconte M. Waterton :

« Nous étions là silencieux comme le calme qui précède un orage. Hoc res summa loco. Scinditur in contraria vulgus. Ils voulaient le tuer et je voulais le prendre vivant.

« Je me promenais en long et en large sur le sable, roulant une douzaine de projets dans ma tête. Le canot était très éloigné. J’ordonnai qu’on l’amenât près de l’endroit où nous étions. Le mât avait huit pieds de long