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ANDRÉ DEL SARTO.
ANDRÉ.

Allons, mes bons amis ! à table ! avez-vous quelque souci, quelque peine de cœur ? il s’agit de tout oublier. Hélas ! oui, vous en avez sans doute ; tout homme en a sous le soleil. (Ils s’asseoient.)

LUCRÈCE.

Pourquoi reste-t-il une place vide ?

ANDRÉ.

Cordiani est parti pour l’Allemagne.

LUCRÈCE.

Parti ? Cordiani ?

ANDRÉ.

Oui, pour l’Allemagne. Que Dieu le conduise ! Allons, mon vieux Lionel, notre jeunesse est là-dedans. (Montrant les flacons.)

LIONEL.

Parlez pour moi seul, maître. Puisse la vôtre durer long-temps encore, pour vos amis et pour le pays !

ANDRÉ.

Jeune ou vieux, que veut dire ce mot ? les cheveux blancs ne font pas la vieillesse, et le cœur de l’homme n’a pas d’âge.

LUCRÈCE, à voix basse.

Est-ce vrai, Damien, qu’il est parti ?

DAMIEN, de même.

Très vrai.

LIONEL.

Le ciel est à l’orage ; il fait mauvais temps pour voyager.

ANDRÉ.

Décidément, mes bons amis, je quitte cette maison ; la vie de Florence plaît moins de jour en jour à ma chère Lucrèce, et quant à moi, je ne l’ai jamais aimée. Dès le mois prochain, je compte avoir sur les bords de l’Arno une maison de campagne, un pampre vert et quelques pieds de jardin. C’est là que je veux achever ma vie, comme je l’ai commencée. Mes élèves ne m’y suivront pas. Qu’ai-je à leur apprendre, qu’ils ne puissent oublier ? Moi-même j’oublie chaque jour, et moins encore que je ne le voudrais. J’ai besoin cependant de vivre du passé ; qu’en dites-vous, Lucrèce ?

LIONEL.

Renoncez-vous à vos espérances ?

ANDRÉ.

Ce sont elles, je crois, qui renoncent à moi. Ô mon vieil ami, l’espérance