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LES CAPRICES DE MARIANNE.
CŒLIO.

Vingt fois j’ai tenté de l’aborder ; vingt fois j’ai senti mes genoux fléchir en approchant d’elle. J’ai été forcé de lui envoyer la vieille Ciuta. Quand je la vois, ma gorge se serre, et j’étouffe, comme si mon cœur se soulevait jusqu’à mes lèvres.

OCTAVE.

J’ai éprouvé cela. C’est ainsi qu’au fond des forêts, lorsqu’une biche avance à petits pas sur les feuilles sèches, et que le chasseur entend les bruyères glisser sur ses flancs inquiets, comme le frôlement d’une robe légère, les battemens de cœur le prennent malgré lui ; il soulève son arme en silence, sans faire un pas et sans respirer.

CŒLIO.

Pourquoi donc suis-je ainsi ? n’est-ce pas une vieille maxime parmi les libertins, que toutes les femmes se ressemblent ? pourquoi donc y a-t-il si peu d’amours qui se ressemblent ? En vérité, je ne saurais aimer cette femme comme toi, Octave, tu l’aimerais, ou comme j’en aimerais une autre. Qu’est-ce donc pourtant que tout cela ? deux yeux bleus, deux lèvres vermeilles, une robe blanche, et deux blanches mains. Pourquoi ce qui te rendrait joyeux et empressé, ce qui t’attirerait, toi, comme l’aiguille aimantée attire le fer, me rend-il triste et immobile ! Qui pourrait dire : ceci est gai ou triste ? La réalité n’est qu’une ombre. Appelle imagination ou folie ce qui la divinise. — Alors la folie est la beauté elle-même. Chaque homme marche enveloppé d’un réseau transparent qui le couvre de la tête aux pieds ; il croit voir des bois et des fleuves, des visages divins, et l’universelle nature se teint sous ses regards des nuances infinies du tissu magique. Octave ! Octave ! viens à mon secours.

OCTAVE.

J’aime ton amour, Cœlio, il divague dans ta cervelle comme un flacon syracusain. Donne-moi la main ; je viens à ton secours, attends un peu. — L’air me frappe au visage, et les idées me reviennent. Je connais cette Marianne, elle me déteste fort, sans m’avoir jamais vu. C’est une mince poupée, qui marmotte des ave sans fin.

CŒLIO.

Fais ce que tu voudras, mais ne me trompe pas, je t’en conjure ;