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restée bien supérieure à la copie que Molière en fit à la hâte pour une fête de Versailles. Le Festin de Pierre, que Thomas Corneille mit dans la suite en vers, et dont le titre absurde ne peut venir que d’une traduction fautive, est le Convive de pierre (el Convidado de piedra) du moine Gabriel Tellez, connu sous le nom de Tirso de Molina. L’École des Maris offre dans plusieurs scènes un souvenir manifeste de la Discreta enamorada, de Lope, et de la comédie de Moreto, intitulée No puede ser guardar una muger (on ne peut garder une femme). L’idée première des Femmes savantes semble prise à la comédie de Calderon, No hay burlas con el amor (on ne badine pas avec l’amour), et cet ouvrage présente aussi plusieurs points de ressemblance avec la Presumida y la hermosa (la présomptueuse et la belle), de Fernando de Zarate. Enfin, le Médecin malgré lui (traduit en espagnol avec un meilleur titre, El medico a palos), qui ne semble avoir été inspiré à Molière que par son malin vouloir contre la faculté, pourrait bien s’être offert à sa pensée à la lecture de la comédie très connue de Lope de Vega, nommée El acero de Madrid (l’acier de Madrid)[1] : c’est aussi une jeune fille qui, dans l’intérêt de ses amours, feint d’être malade ; c’est un valet bouffon qu’on affuble du bonnet de docteur, et qui vient réciter des apophthègmes latins.

Si, avec son incomparable génie, Molière a contracté tant de dettes envers le théâtre espagnol, on peut croire que la foule des auteurs secondaires ne se sont fait ni faute ni scrupule de puiser largement aux mêmes sources. Aussi, même dans le grand siècle, quelle tourbe d’imitateurs envahissent notre scène ! Scarron, Quinault, Thomas Corneille, comme Rotrou précédemment, n’offrent guère au théâtre que des sujets pris à l’Espagne. On écrirait un livre pour mentionner et juger toutes les copies, plus ou moins heureuses, qui furent transportées sur la scène française pendant le règne de Louis xiv. M. de Sismondi a déjà fait cette remarque, juste dans

  1. Il était alors de mode de prendre, pour les maladies de vapeur, une eau dans laquelle on trempait l’acier ; mais il fallait, pour que le remède opérât, se promener long-temps chaque matin. Cette mode, merveilleusement propice aux intrigues amoureuses, forme le titre et le sujet de la comédie de Lope.