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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

la double acception du mot, et l’opinion de Schlegel à cet égard mérite d’être rapportée : « Les richesses du théâtre espagnol, dit-il, ont fini par passer en proverbe, et j’ai déjà eu l’occasion de remarquer que l’usage d’emprunter en secret à ce trésor inépuisable se trouvait introduit, depuis bien long-temps, chez les auteurs des autres nations. Mais mon intention n’est point de signaler tous les larcins de cette espèce ; la liste en serait longue et difficile à compléter. »

Assurément, lorsqu’on rappelle les emprunts de Corneille et de Molière, qu’ils étaient au reste les premiers à reconnaître, personne ne s’avisera de les accuser de serviles plagiats. À qui pourrait-on supposer une pareille pensée ? qui ne sait que leurs mains habiles ont converti en or tout ce qu’elles ont touché, que leur génie créateur brille jusque dans l’imitation, que presque toujours enfin les copies qu’ils ont tracées surpassent et font oublier l’original ? Ils ont fait dans le drame ce que Lesage a fait dans le roman ; Lesage, de qui l’on ne citerait pas une seule œuvre, sans excepter même Gil-Blas, dont l’idée-mère, le cadre et la plupart des développemens ne fussent pris aux Espagnols, mais qui sut corriger et grandir ses modèles au point de se les approprier par l’immense supériorité de l’ensemble et des détails. Toutefois il faut convenir qu’on a trop vite oublié les services littéraires de nos voisins du midi ; que notre orgueil national, justement glorieux de tant de chefs-d’œuvre enviés de toutes les nations, s’est trop complètement délivré du poids de la reconnaissance envers ceux qui nous ont frayé la route, et qu’il y a quelque ingratitude à verser sur eux le ridicule, le blâme amer, je dirais presque le mépris. Doit-on cesser de respecter ses maîtres, même quand on les surpasse ? Voyez Boileau, persiflant déjà le théâtre espagnol en masse, tandis que Corneille et Molière vivaient encore. Du haut du Parnasse classique dont il se fait législateur, il lance l’anathème sur tous ces dissidens du culte des unités, sur tous ces rimeurs qui peuvent sans péril montrer le héros d’un spectacle grossier, enfant au premier acte et barbon au dernier. Mais ce trait, dont il perce fièrement les rimeurs de-là les Pyrénées, Boileau se garde bien de dire qu’eux-mêmes le lui ont fourni. Je citerais cette expression dix fois répétée avant lui, en vers et en prose, par les cri-