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LÉLIA.

de Faust ; car il garde dans son sein le trésor des passions jeunes et ardentes, qui ont couvé en silence sous la poussière des livres, et dormi tandis que l’intelligence veillait ; et quand Faust, fatigué de chercher la perfection et de ne la pas trouver, s’arrête, près de maudire et de renier Dieu, Dieu, pour le punir, lui envoie l’ange des sombres et funestes passions. Cet ange s’attache à lui ; il le réchauffe, il le rajeunit, il le brûle, il l’égare, il le dévore ; et le vieux Faust entre dans la vie, jeune et vivace, coupable maudit, mais tout-puissant ! Il en était venu à ne plus aimer Dieu, mais le voilà qui aime Marguerite. Mon Dieu, donnez-moi la malédiction de Faust !

Car vous ne me suffisez pas, Dieu ! vous le savez bien. Vous ne voulez pas être tout pour moi ! vous ne vous révélez pas assez pour que je m’empare de vous et pour que je m’y attache exclusivement. Vous m’attirez, vous me flattez avec un souffle embaumé de vos brises célestes, vous me souriez entre deux nuages d’or, vous m’apparaissez dans mes songes, vous m’appelez, vous m’excitez sans cesse à prendre mon essor vers vous, mais vous avez oublié de me donner des ailes. À quoi bon m’avoir donné une âme pour vous désirer ! Vous m’échappez sans cesse ; vous enveloppez ce beau ciel et cette belle nature de lourdes et sombres vapeurs ; vous faites passer sur les fleurs un vent du midi qui les dévore, ou vous faites souffler sur moi une bise qui me glace et me contriste jusqu’à la moelle des os. Vous nous donnez des jours de brume et des nuits sans étoiles ; vous bouleversez notre pauvre univers avec des tempêtes qui nous irritent, qui nous enivrent, qui nous rendent audacieux et sceptiques malgré nous ! Et si, dans ces tristes heures, nous succombons sous le doute, vous éveillez en nous les aiguillons du remords et vous placez un reproche dans toutes les voix de la terre et du ciel !

Pourquoi, pourquoi nous avez-vous faits ainsi ? Quel profit tirez-vous de nos souffrances ? Quelle gloire notre abjection et notre néant ajoutent-ils à votre gloire ? — Ces tourmens sont-ils nécessaires à l’homme pour lui faire desirer le ciel ? L’espérance est-elle une faible et pâle fleur qui ne croît que parmi les rochers, sous le souffle des orages ? Fleur précieuse, suave parfum, viens habiter ce cœur aride et dévasté !… Ah ! c’est en vain, depuis long-temps, que tu essaies de le rajeunir : tes racines ne peuvent plus s’attacher à ses parois