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LES LOIS ET LES MŒURS.

ou croyant descendre d’un même chef. Chacune de ces familles particulières formait une branche collatérale de la grande famille, qui était la tribu. Or, cette relation des individus est basée sur les mœurs patriarcales, qui furent les mœurs primitives des Hébreux. Ces mœurs avaient naturellement formé la tribu, Moïse la reçut d’elles, et en fit la base de la société qu’il instituait. Chacune de ces tribus était réellement une petite société qui se gouvernait par ses chefs de famille et ses vieillards, et qui se considérait comme entièrement libre à l’égard des autres. Moïse fit tout ce qu’il put pour les grouper en corps de nation, à chacune il marqua sa place et son rang, à plusieurs il assigna leur emploi, il s’efforça de modeler l’unité du peuple juif sur l’unité de Jéhovah ; mais, malgré tous ses efforts et même tous ses succès, la vie individuelle des tribus subsista, et après s’être à grand’peine ralliées autour de David, elles brisèrent sous son petit-fils le lien passager qu’elles avaient accepté pour un jour.

Les anciennes mœurs des Hébreux étaient surtout pastorales, Moïse voulut les rendre surtout agricoles. Autour de lui erraient dans le désert des populations vagabondes, vivant de brigandages ; il voulut séparer fortement son peuple de l’errant Ismaël. En masse il parvint à ce double but ; il fixa sur le sol la tente de l’Hébreu, et l’y enchaîna par le lien de la propriété. Mais les mœurs primitives sont tenaces, les mœurs voisines sont contagieuses ; ne voit-on pas sous les Juges de véritables hordes comme les hordes arabes[1] ? et quand le peuple de Dieu est arrivé dans la terre sainte, n’y a-t-il pas des tribus qui désirent prendre le terrain qui est proche du désert pour continuer la vie nomade ? Mais voici qui est décisif, la loi mosaïque elle-même atteste l’existence d’un droit coutumier antérieur à elle, ou qu’elle ne veut ou n’ose pas toujours abolir. Jésus-Christ, en parlant du divorce, l’appelle une concession faite par Moïse à la dureté du cœur des Juifs ; il y en a plusieurs autres du même genre.

Ainsi, on voit par le témoignage de Moïse lui-même que cette obligation imposée au frère d’épouser la veuve de son frère mort sans enfans, qui choque nos idées et que repoussent nos lois, cette obligation qui, sans doute par un progrès moral, tombait en désuétude aux Indes dès l’époque de Manou, existait cent cinquante ans avant Moïse, plus impérieuse encore que dans sa loi.[2]

Ce n’est pas Moïse qui a institué le vengeur du sang, à qui le meurtre d’un parent confère le droit et impose le devoir d’attenter, par tous les moyens possibles, aux jours des meurtriers. Cette coutume est celle de la

  1. Michaelis, Mosaisches recht, t. i, p. 196.
  2. Genèse, chap. 38.