Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/538

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
532
REVUE DES DEUX MONDES.

n’avait ni mission ni puissance ; puisqu’il a suivi, c’est qu’il ne devait pas conduire.

Mais il y a dans toutes les réflexions qui précèdent, le germe d’une conclusion plus générale et plus haute : je veux parler d’une réaction spiritualiste dans toutes les formes de l’art littéraire ; car, prenez-y garde, l’esprit, l’imagination et le style de M. Delavigne, sont à la taille du plus grand nombre. C’est un irréprochable ouvrier en hémistiches ; il sait précisément la dose de plaisanterie commune dont il faut envelopper et assaisonner une idée presque nouvelle pour la rendre présentable et polie.

Il faut donc induire de tout ceci que l’auditoire de la rue de Richelieu, qui n’a trouvé dans les Enfans d’Édouard aucune aspérité repoussante, aucune excentricité scandaleuse, mais qui est demeuré froid et muet malgré le dévoûment des amitiés, commence à se lasser tout de bon des panoramas historiques, et regrette sérieusement les passions humaines en échange desquelles on lui donne aujourd’hui des hauberts, des tabards, des surcots et des couronnes à fleurons. Il commence à comprendre ce qu’il n’aurait jamais dû oublier, que la poésie dramatique est quelque chose de plus sérieux et de plus élevé qu’un ballet ou une mascarade ; que c’est une nourriture pour l’âme, et non une pâture pour les yeux.

C’est pourquoi je pense que les inventeurs de profession feront bien de se préparer à la révolution qui s’annonce dans le goût public, de se mêler au monde et à ceux qui ont vécu, de mener des journées actives et pleines, et d’oublier pour quelque temps les missels enluminés, les chroniques poudreuses, les gravures héraldiques et les généalogies, s’ils veulent faire face à l’indifférence, et ramener la foule qui s’en va.


Gustave Planche.