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REVUE. — CHRONIQUE.

qui avaient éveillé tant de susceptibilités. On se gardait bien de s’établir avec nous sur ce terrein. Le retentissement de ces révélations sur les dernières transactions de Benjamin Constant, sur la cause des douleurs de Périer, avait été assez grand. On s’était dit qu’il ne fallait pas le prolonger, et on était bien décidé à ne pas nous trouver coupables là-dessus. Pour nous, persuadés d’abord que c’était là la seule et unique cause des poursuites qu’on exerçait contre nous, nous avions conçu une convenable défense, et nous nous préparions à prouver qu’en cette affaire nous nous étions réduits au simple rôle d’historiens, élaguant de nos récits tout ce qui touchait de trop près à la politique du jour, et sacrifiant les documens les plus précieux avec un courage dont le tribunal nous eût peut-être su gré. Mais le plaidoyer que nous méditions a été inutile. Ce n’est pas pour nos lettres politiques qu’on nous demandait un cautionnement, c’est pour notre chronique littéraire. Las de chicaner sur le droit de prononcer tels ou tels noms, de discuter de telle ou telle chose, nous avons déposé ce cautionnement qui nous ouvre les portes du monde réel, et aujourd’hui nous nous trouvons avoir payé le droit de parler librement de tout, en nous abstenant toutefois de médire de l’autorité, des gens en place, de l’académie, et de tout ce qui tient à quelque chose.

Dieu merci ! nous pourrons désormais conter légalement, à nos risques et périls, et n’ayant à craindre tout au plus que l’amende, Sainte-Pélagie ou le Mont-Saint-Michel, comment, par exemple, l’emprunt grec est arrivé à bon terme, et quels louables efforts ont été faits par nos députés doctrinaires en cette occasion. Chaque matin, pendant plusieurs jours, on a vu leurs carosses et leurs cabriolets sillonner toute la ville. M. le comte Jaubert a encore deux chevaux sur la litière, deux bons chevaux que l’emprunt grec a ruinés. On rencontrait à chaque pas M. le comte de Rémusat, gourmant la lenteur de son cocher de louage, qui ne se doutait pas que les quarante sous qu’on lui payait à l’heure, rapportaient quelques millions au gouvernement du roi Othon. Enfin tant de promesses, de protestations, d’encouragemens ont été portés à domicile chez MM. les députés, par M. Mabul, M. Duvergier et tous les jeunes officiers d’ordonnance de MM. de Broglie et Guizot, que les portes du trésor se sont encore cette fois largement ouvertes, et que sans bourse délier, comme l’a dit si facétieusement M. le ministre des affaires étrangères, nous paierons de notre or, frappé à l’effigie du roi de juillet, l’établissement féodal d’un nouveau souverain de la sainte-alliance.

Il nous sera aussi permis maintenant de dire quelques paroles au sujet des malheureux captifs de juin, qu’on vient d’arracher aux cachots de Sainte-Pélagie, pour les lancer sur la cime aride du Mont-Saint-Michel.