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a pas trois sur deux cents qui étudient une foule de maladies peu connues en Europe, et encore moins qui les guérissent. Les avocats, à deux ou trois près, sont également dévorés de la soif du gain. Ce serait une sottise ici et non un honneur de défendre l’innocente pauvreté : celui qui paie le mieux est sûr d’avoir gain de cause. Le corps militaire n’est pas plus respectable ; car si quelque chose ennoblit cette profession, c’est le désintéressement, compagnon ordinaire du vrai courage : ne pouvant faire usage du leur, les officiers anglais cherchent à s’enrichir comme les marchands, et je connais des colonels qui s’entendent mieux à une opération de commerce qu’à faire manœuvrer un régiment. Un autre inconvénient de cet esprit de trafic, c’est qu’en procurant de la fortune, il n’apprend pas à en jouir. Il y a trois cents négocians européens à Calcutta, qui pourraient avoir en Angleterre un bel hôtel, des terres, des chevaux, qui pourraient admirer de beaux tableaux, écouter de bonne musique, respirer un air pur, vivre avec des gens d’esprit et entendre tous les soirs ou Kemble ou madame Catalani. Eh bien ! pour ajouter deux lacks de roupies aux deux qu’il a déjà, un négociant passera trois années encore à humer un air infect, à combattre une chaleur dévorante et toutes les maladies qu’elle enfante ; il risquera de se ruiner, il s’imposera mille privations, et échangeant des années contre des roupies, il deviendra dix fois plus riche, et mourra dix ans plus tôt. Ce qu’il y a de plus révoltant dans tout ceci, c’est d’entendre des hommes riches de plusieurs millions se plaindre de la dureté des temps comme des malheureux qui meurent de faim. La paix, pour messieurs du Bengale, est le fléau des nations, et j’en ai vu qui poussaient l’impudence jusqu’à regretter ce bon temps où cent mille hommes s’égorgeaient régulièrement chaque année, parce qu’alors, disent-ils, on vendait mieux et on gagnait davantage.

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D’après ce que je t’ai dit des hommes, tu dois croire que les femmes de Calcutta ne sont pas plus aimables, et en effet toutes celles que j’ai connues au Bengale, à l’exception de la marquise de Hastings et quelques autres, m’ont donné une triste idée de l’éducation des demoiselles en Angleterre. Il arrive ici par trentaines de jeunes personnes qui n’ont souvent pour mentor que le capi-