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gémissemens, toutes les convulsions du désespoir. Elle se soumit avec une douceur, une patience infinie, à tous les soins que ses amis s’empressèrent de lui prodiguer. Pour leur en témoigner sa reconnaissance, elle semblait consentir à s’entourer d’eux, à s’appuyer sur leur bras, afin d’essayer de marcher encore dans le monde, de se mêler encore à la foule indifférente. Mais au bout de toutes les perspectives désolées de la vie, ce n’était plus qu’un seul objet qui lui apparaissait sans cesse : le tombeau de sa fille tant aimée. Ce tombeau l’attirait par une sorte de mystérieuse, d’horrible fascination dont elle seule pouvait apprécier l’irrésistible puissance ; et c’est ce qui lui donnait la force d’être calme, la force de marcher, la force même de sourire parfois. Aussi, tandis qu’à ces indices, beaucoup commençaient à la croire résignée (ils sont en petit nombre, ceux dont l’œil sait voir la douleur qui s’enferme muette et silencieuse au sein du cœur qu’elle consume), il arriva que s’étant couchée un jour, ne paraissant souffrir que d’une indisposition légère, elle ne se releva pourtant plus. La maladie avait eu peu de chose à faire pour devenir mortelle.

À ce souvenir, en raison de leur analogie avec lui, se joignirent bientôt d’autres souvenirs également douloureux. Autour de ces deux victimes se groupèrent bientôt dans ma mémoire d’autres victimes du même fléau, dont j’avais vu de même la triste fin, ou dont la triste fin m’avait été racontée.

C’étaient d’autres jeunes filles, qui de même étaient tombées sur le seuil de leur destinée d’amour et de dévoûment. C’étaient de belles fiancées arrachées tout à coup au long avenir d’espérance et de bonheur qu’elles rêvaient déjà dans les bras d’un époux de leur choix. C’étaient de tendres mères enlevées à l’amour de leurs enfans. C’étaient des hommes dans toute la force, toute la vigueur de l’âge, à qui de longues années paraissaient assurées, ou bien d’autres hommes aux cheveux blanchissans, à qui le sort semblait devoir quelques jours de repos, après les fatigues d’une carrière agitée. C’étaient des guerriers épargnés dans vingt batailles par le fer et le plomb, et s’étonnant de succomber sous des coups invisibles plus rapides et plus meurtriers ; c’étaient des hommes d’art et d’étude qui, le pied dans la tombe, se sentaient mourir plus cruellement encore au dernier regard qu’ils jetaient sur l’œuvre chérie,