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PHILIPPE DE MORVEL.

ment avait eu lieu, lorsque les noms d’Auberti et de Risthal furent annoncés ensemble dans le salon du directeur général du trésor. Outre les dames, dont la toilette a été décrite plus haut, ce salon réunissait un grand nombre d’hommes distingués par leur rang et par leur esprit : des gens de cour et des académiciens, des financiers et des philosophes. Différens groupes s’étaient formés, et la conversation variait de l’un à l’autre ; mais le sujet dominant était la politique. Après avoir causé quelque temps auprès du ministre, M. Auberti se dirigea vers l’extrémité opposée du salon, où quelques personnes paraissaient avoir ensemble une discussion animée. La divergence entre les vues de M. Necker et celles de M. Turgot, relativement à l’administration du royaume, était le sujet de cette controverse, d’autant plus vive, que des noms propres s’y trouvaient mêlés. L’avocat de M. Turgot s’élevait contre la prétention de soumettre au moindre règlement la liberté du commerce et de l’industrie ; il répétait avec emphase l’axiome des économistes : laissez faire, laissez passer. Le peuple souffre, disait-il ; on le reconnaît, et l’on ne veut pas en voir la cause : ce sont les maîtrises et les corporations, ce sont les droits d’entrée, et les douanes, et toutes vos lois prohibitives, qui doublent et triplent le prix des choses les plus nécessaires à la vie. Voilà ce qui fait que le pauvre meurt, faute de pain et de travail, s’écria-t-il en terminant, et si la hache des réformes doit être portée quelque part, c’est là.

— Mais la chose est délicate et demande certains ménagemens, répondit son antagoniste.

— Comment des ménagemens ! capituler avec le mal ! se tenir entre le vrai et le faux ! voilà une plaisante manière d’être honnête homme et de raisonner

— S’il ne s’agissait que de raisonnemens abstraits, comme en géométrie, peut-être serais-je de votre avis, monsieur, dit alors Auberti d’un ton calme, qui indiquait un homme versé dans les matières dont il parlait. Mais, je vous demande pardon, la destruction immédiate de ce système d’entraves, que je suis loin d’approuver, ne pourrait avoir lieu sans bouleverser une foule d’intérêts, sans compromettre l’existence de la plupart des maisons de commerce, enfin sans ruiner l’espérance que nous avons d’établir un vrai sys-