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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/715

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PHILIPPE DE MORVEL.

dit plus rien à Sophie ; mais celle-ci présuma qu’il s’occupait toujours du comte et de sa visite, car il ne cessa pas de regarder la liste qu’il tenait à la main. Le soir, en revenant de la comédie française, où, malgré l’intérêt du spectacle, il avait eu de fréquentes distractions, sa nièce observa qu’il semblait préoccupé de quelque affaire importante. Durant le trajet qu’ils firent, tête à tête, en voiture, il ne lui adressa pas un mot, et se parla plusieurs fois à lui-même, par exclamations et sans suite. « Voilà qui serait singulier, disait-il… Eh ! mais l’on a vu des évènemens plus extraordinaires… Si la chose avait lieu pourtant !… Ma foi ; cela se peut bien, et pourquoi pas… pourquoi pas ?… ». Ces dernières paroles étaient accompagnées d’un sourire de satisfaction. De retour à son hôtel, et à l’instant où Sophie allait se retirer dans sa chambre, M. Auberti lui souhaita le bonsoir d’une voix plus tendre de coutume.

Le lendemain, dès qu’onze heures sonnèrent, le Génevois monta en voiture, et se fit conduire chez le comte de Morvelle. Il trouva, dans la loge du concierge, un grand laquais qui jouait aux cartes, et qui le toisa d’un air assez impertinent, prenant peut-être cette visite pour celle d’un créancier, dont il n’avait pas encore vu la figure. « M. le comte n’est pas chez lui, » dit le valet de chambre.

— Et pouvez-vous me dire quand il sera visible ?

— Je ne le sais jamais d’avance ; et dans tous les cas, ce ne sera pas aujourd’hui, mon maître ne rentrera que pour s’habiller et aller souper chez un ministre.

— C’est bon, c’est bon, dit Auberti, en jetant sa carte de visite ; et il remonta en voiture, tout joyeux de penser que ce ministre pouvait bien être M. Necker, et que peut-être le soir même, il rencontrerait le colonel.

— En rentrant après plusieurs courses, il trouva sa nièce occupée à tout disposer pour sa toilette. « Ah ! ça, dit-il, ma chère Sophie, vous serez belle, n’est-ce pas ? Entendez-vous ? il faut que vous soyez belle ce soir, et que vous plaisiez encore plus que de coutume ! » Sophie sourit, ne comprenant pas à quelle idée se rattachait cette recommandation. Elle répondit par un signe de tête, appela sa femme de chambre, et passa dans son cabinet. Deux heures après, elle en sortit parée de sa plus belle robe, et avec quelques fleurs dans les cheveux. À cette vue, pour la première fois